Étape 1 : Transcender la peur
En 15 jours de voyage, il nous arrive plus d’aventures que durant tout le
reste de l’année. Logique : le voyage est, par excellence, une plongée dans
l’inconnu. Or, s’il est bien une chose que notre cerveau reptilien déteste,
c’est l’inconnu. Pour lui : inconnu = danger. D’où le réflexe conditionné
de peur qu’il déclenche alors. Mais si tous les lieux sacrés sont défendus
par des
« gardiens du seuil » (gargouilles et monstres divers), ce n’est pas
un hasard. Pour accéder à sa dimension spirituelle, l’homme, à l’image de
Saint-Michel, doit terrasser en lui le dragon : vaincre sa peur.
Peur qu’il
« arrive quelque chose » ou peur de l’autre, cet inconnu qui
n’est pas moi. Pourtant, si en voyage, quelques drames et agressions surviennent
parfois, ils représentent statistiquement un pourcentage infinitésimal
par rapport aux deux milliards d’individus sillonnant aujourd’hui
la planète. Ayant passé sa vie sur les routes du monde, André Brugiroux
raconte (1) qu’en 50 ans de pérégrinations, il ne s’est fait agresser que trois
fois (petits vols), mais qu’il a été plus de cent fois tiré d’un mauvais pas par
son frère humain…
Outre l’enrichissement qu’offre ce saut effectué hors de nos habitudes, le
voyage propose à ses adeptes un sympathique bonus. Ce qui nous marque
le plus dans l’existence : les premières fois. Or, en voyage, on vit des premières
fois dix fois par jour, mais encore faut-il oser aller vers l’inconnu !
Étape 2 : Expérimenter l’effet miroir
Psychologie contemporaine, rapprochement de la science et de la spiritualité,
nous sommes entrés dans une époque de notre évolution où le
fait d’être cocréateurs de nos existences n’apparaît plus comme une hypothèse
fantaisiste. Ce que nous vivons ? C’est ce que nous projetons dans le
monde. Or, en voyage, où
« les possibles » sont démultipliés par rapport à
nos vies quotidiennes bien réglées, cet
« effet miroir » prend toute sa puissance,
nous rappelant que ce ne sont pas les événements qui comptent,
mais la façon dont nous y réagissons.
Impossible ainsi d’oublier la leçon donnée par ces deux couples qui,
s’étant connus sur le vol qui les emportait en voyage de noces, connurent
des destins très… différents l’un de l’autre. Arrivés à Kuala Lumpur pour
découvrir qu’une grève des bagagistes les privait de leurs effets, ils ne se
retrouvèrent qu’à l’arrivée de leurs bagages… trois jours plus tard. Entretemps,
le premier couple s’était rendu au marché de nuit pour acheter
quelques t-shirts et y avait rencontré un messager leur conseillant un îlot
désert paradisiaque. Seul problème : il fallait prendre un billet non remboursable,
départ deux jours plus tard. Bref : faire confiance. Ce qu’ils
firent, pour y vivre
« les meilleurs moments de notre vie ! ». Le second
couple, lui, se déchira à peine sorti de l’aéroport. En colère, ils quittèrent le
restaurant où ils dînaient en coup de vent, y oubliant sacoche, passeports
et argent. Quand ils retrouvèrent le premier couple pour récupérer leurs
bagages, ce fut pour annoncer qu’ils se faisaient rapatrier et envisageaient
de… divorcer !
En cet instant
de paix intérieure, vous
réalisez soudain tout
le miracle que constitue
la sensation d’être un
fragment d’univers
conscient.
Étape 3 : Se laisser guider
Les deux premiers livres écrits sur notre planète
furent deux récits de voyage : L’épopée de
Gilgamesh puis L’Odyssée. Deux récits initiatiques
où le voyage est une métaphore de notre
chemin de vie. Dans L’Odyssée, les dieux, prenant
l’apparence d’un inconnu, interviennent
constamment dans le destin des héros en
leur soufflant conseils et informations. Dans
L’usage du monde, Nicolas Bouvier, prince
des écrivains-voyageurs, évoque à plusieurs reprises
ces agents du destin qui orientent le cheminement
de ceux qui leur prêtent l’oreille.
Chaque famille possède sa propre mythologie.
La mienne est centrée sur le voyage ! Parmi les
tous premiers à déposer notre liste de mariage
dans une agence de voyage, entraînant par la
suite nos enfants autour du monde (2), nous
n’avons cessé de croiser des messagers. Depuis
le banal commerçant qui, apercevant nos
palmes, nous conseille un spot de plongée, en
passant par ce voyageur croisé dans un bouiboui
qui nous fit échanger notre billet d’avion
à la dernière seconde en nous confiant l’adresse
secrète d’un petit paradis. Pour arriver à cette
journée critique où, à trois jours du départ,
trois personnes différentes (serveur, rickshaw,
touriste) prononcèrent la même phrase :
« N’allez pas au Cachemire ! ». Cachemire où
trois jours plus tard, à Srinagar, un attentat à
la bombe fit 24 morts dans l’aéroport. Dont
acte, comme disent les juristes.
Étape 4 : Écouter le langage du monde
C’est par ces termes que, dans l’Alchimiste, Paolo Coelho désigne l’ensemble
des signes, coïncidences et autres synchronicités que la vie envoie
pour nous guider. Ayant animé pendant plusieurs années une émission de
radio où je recevais de grands voyageurs, je prenais un malin plaisir à leur
demander si, au cours de leur expédition, quelques coups de pouce du
destin n’étaient pas intervenus pour les aider. Tous, de Jean-Louis Étienne
à Bernard Ollivier (3) avaient chaque fois dix exemples de
« micro-miracles
» à avancer. Pour quelle raison ? Sans doute parce que
« l’univers tout
entier conspire à la réussite de celui qui accomplit sa légende personnelle »,
exprimait si bien l’écrivain brésilien. Intéressant puisque l’on commence
aujourd’hui à avancer que les manifestations du destin n’auraient rien de
miraculeux mais seraient la conséquence de l’interaction inconsciente de
notre esprit focalisé sur une idée forte avec le monde et son champ d’information
quantique... Il n’en reste pas moins décoiffant de croiser son
voisin à l’autre bout du monde ! Statistiquement plus qu’improbable et
pourtant si fréquent que les Anglais en ont tiré un proverbe :
« It’s a small
world ». Et comment expliquer qu’arrivant à Saint-Pétersbourg face à un
groupe d’immeubles comprenant des centaines d’appartements, André
Brugiroux, dans l’obscurité totale, choisisse la cage d’escalier où résonnait
un bruit, gravisse deux étages, frappe à une porte qu’il
« sentait bien » et
tombe précisément sur les personnes qui l’attendaient ?
Étape 5 : Oser lâcher prise
Des années durant, avec Sandra, mon épouse,
nous avons appelé cela les
« fausses mauvaises
nouvelles ». Notre réveil, réglé à quatre heures
du matin pour gravir les 5 400 marches du
pélerinage de l’Adam’s Peak au Sri Lanka, ne
s’est pas déclenché... Partis avec trois heures
de retard, nous croisons les voyageurs partis
à temps, trempés et désabusés : rien à voir
là-haut à cause de la météo. Quand nous y
parvenons enfin, le soleil perce et jette son
premier rayon sur l’empreinte de pied du
Bouddha : magie absolue !
Quelques années plus tôt, issus de deux religions
différentes et ayant souhaité donner
à notre mariage une dimension spirituelle,
la nouvelle que ni le rabbin ni le prêtre n’acceptent
de nous unir nous abat. Fausse mauvaise
nouvelle ! Durant notre voyage de noces,
à Khajuraho, en Inde, site
« chargé », jalonné
de temples extraordinaires, hasards incroyables
et synchronicités s’enchaînent. Le matin, une
femme a passé un collier de fleurs autour du
cou de Sandra en lui annonçant qu’elle se marierait
le jour même. Me voyant arriver, elle
me désigne, me passe un collier puis disparaît.
Sans rien demander. Le soir, sous une pleine
lune hollywoodienne, je décide de visiter les
temples de nuit. Un mendiant nous prend en
main et nous conduit (avant de disparaître à
son tour) dans l’unique temple en activité où
un prêtre nous fait asseoir et conduit toute une
cérémonie, alors que le site est officiellement
fermé ! Pétales de fleurs, riz, tika sur le front…
Nous apprendrons quelques jours plus tard,
qu’en cette fête de Shiva, une fois par an, nous
avons été… mariés ! Parce que la vie, dans son
grand mystère, sait mieux que nous ce qu’il
nous faut (et comment y parvenir), nous devons
toujours accepter ce qui est, et lui faire
confiance. Tel est l’authentique lâcher-prise.
En voyage, l’esprit
libéré, nous pouvons
nous appliquer à être
simplement présents
au monde.
Étape 6 : Vivre ici et maintenant
L’un des bénéfices les plus considérables offert par le voyage est que l’on
peut accéder à ce que les sages du monde entier affirment être le secret
du bonheur : la capacité à vivre ici et maintenant. Autant, dans la vie
quotidienne, factures et problèmes nourrissent un discours intérieur
incessant et nous empêchent de vivre la magie de l’instant présent,
autant, en voyage, l’esprit libéré, nous pouvons nous appliquer à être
simplement présents au monde. Raison pour laquelle, en voyage, on se
sent si heureux et tellement plus… vivant !
Nul miracle là encore, puisque la dualité sur laquelle repose l’univers (yin
et yang, positif-négatif, masculin-féminin) vaut pour toute chose, et pour
notre posture mentale, entre autres, sous ses deux formes : comment
puis-je me projeter dans le monde (l’intention, yang) et comment suis-je
à son écoute (l’attention, yin) ? En Occident, nous sommes presque
toujours dans l’intention : désirant, analysant, planifiant... En voyage,
lâchant enfin prise, nous prenons le temps de regarder, écouter, admirer,
rééquilibrant en nous les deux forces fondamentales jusqu’à, parfois, vivre
des moments parfaits qu’évoquent tous les voyageurs : face à un coucher
de soleil en brousse, vous voici soudain envahi par un bonheur et une
gratitude infinis qui illuminent chaque recoin de votre être, sans aucune
raison. Simplement parce qu’en cet instant de paix intérieure, vous réalisez
soudain tout le miracle que constitue la sensation d’être un fragment
d’univers conscient.
Étape 7 : Rencontrer son âme
Je ne parlerais certes pas de ce dernier sujet s’il ne m’avait été donné de vérifier là encore, lorsque je recevais à la radio de grands voyageurs, que j’étais loin d’être le seul à l’avoir vécu. De même que tous mes invités avaient, chacun, accumulé divers
« miracles » et
« rencontres providentielles » pour accomplir leur légende personnelle, de même, à la question :
« Êtes-vous déjà arrivé dans un lieu inconnu pour y ressentir l’étrange impression d’être “chez vous ?” », nombreux furent ceux qui abondèrent dans ce sens. C’est d’ailleurs cette multiplication d’événements, situations et ressentis identiques vécus par les grands voyageurs qui me poussèrent à rédiger une petite philosophie du voyage(4). Personnellement, par deux fois (mon métier de journaliste me poussant à voyager quelque peu), j’eus l’impression de rentrer
« à la maison ». Une première fois au coeur de la campagne iranienne en
« tombant » sur l’unique communauté qui, lorsque Cyrus libéra les Juifs de Babylone, décida de rester sur place pour honorer le tombeau de la reine Esther. Une seconde fois, au Bénin, arrivant sous les hourras des gamins dans un village lacustre, je fus saisi d’une émotion indescriptible, ayant soudainement la sensation de rentrer à la maison. Un peu plus tard, notre délégation ayant été reçue en grande pompe par le roi coutumier du pays, on vint m’extraire du rang des Blancs pour me faire gagner un fauteuil vacant, situé à trois places de celui du roi, sans qu’aucune explication ne me soit jamais donnée. Ce jour-là, précisément, je fêtais mes 50 ans… Voilà aussi, finalement, ce que le voyage nous invite à revisiter : les mystères et les profondeurs de notre âme !