Et si le chaos était le creuset d’une renaissance ? Tel est le pari de Venise. Symbole des outrances de l’anthropocène, cette ville à la croisée des mondes transforme la crise en opportunité de se réinventer, entre éveil de conscience et reliance au vivant. Des thèmes en résonance avec le film de Sébastien Lilli, Du chaos à l’harmonie, projeté au cœur d’une exposition éponyme qui inaugure La Forge du Futur, épicentre créatif de cette mue. On y forgeait le métal, on y forgera des idées pour un monde plus durable. Et Venise l’alchimique de renaître des eaux. Un reportage dans la cité des Doges, entre tradition et modernité, entre hier et demain...
«
Une ville qui existe depuis plus de mille ans est une forme tangible d’éternité », s’émerveille l’écrivain voyageur Cees Nooteboom
(1). Mais dans le chaos actuel, même l’éternité peut être mortelle... Venise, ce rêve de pierre surgi de la lagune, est menacée par les flots et les dérives de la mondialisation. Plutôt que de sombrer, cette ville à l’aura hallucinante rebondit à la faveur de la crise.
C’est sur ce terreau d’un éveil de conscience qu’est née, en mai 2020, l’association SUMus. « Nous sommes », en latin. Être en contrepoids au faire et à l’avoir qui nous ont éloignés de notre intériorité, coupés de l’intelligence du Vivant, déconnectés des signes sensibles de l’invisible. «
Venise bouillonne d’initiatives en lien avec le changement de paradigme. Cette ville attractive peut jouer un rôle de phare dans le brouillard international, plus épais de jour en jour. L’objectif de SUMus, association humaniste, indépendante et inclusive, est d’articuler la transformation individuelle avec la transition collective, de modifier notre relation au Vivant sous toutes ses formes », souligne Hélène Molinari, lumineuse fondatrice de SUMus.
De la réflexion à l’action
À la fois «
think tank et
do tank », ce creuset du futur où collaboreront citoyens, collectivités et jeunes générations produira des idées et cocréera des projets à même d’impacter positivement Venise, ses habitants et ses visiteurs, l’écosystème de la lagune et, par rebond, la planète. Il s’agit de faire « œuvre » commune, tel que le fait le Vivant.
Hélène Molinari, Vénitienne d’adoption, a fait ce chemin intérieur de transition. Celle qui fut directrice générale déléguée au MEDEF, aux côtés de Laurence Parisot, change de vie à 50 ans, en suivant à Venise son mari... Elle se sent illico comme un poisson dans l’eau : «
Je n’ai pas vu Venise comme une ville du passé, a contrario de la plupart des gens, mais comme une possible cité idéale du futur. »
Portée par l’intuition que l’avenir sera spirituel, cette femme engagée de longue date dans les sujets sociétaux a un
insight en assistant au Forum économique mondial de Davos. «
On n’y parlait que de business, sans évoquer le véritable sujet qui est de régénérer ce que l’on a détruit ! » Elle mûrit l’idée de créer un pendant humaniste : The World Human Forum. Un Grec l’a déjà fait, à Delphes. Sur la même longueur d’onde, ils deviendront partenaires. Le projet d’Hélène Molinari change de nom mais pas d’esprit : l’association SUMus est née.
Forger un futur qui dure
8 avril. Le monde, au propre comme au figuré, est au rendez-vous à l’inauguration de
La Fucina del Futuro, à quelques jours de l’ouverture de la Biennale. Ancienne fonderie, cet écrin symbolique de SUMus sera un tiers-lieu où se mêleront Vénitiens et visiteurs d’ailleurs, expositions inspirées et visionnaires inspirants, cercles de réflexion et collectifs autour de projets avant-gardistes (biomimétisme, alimentation vivante, médecine intégrative, etc.). Pour l’heure, le public, de tous âges et de tous horizons, est aussi atypique que cet espace. J’y croise nombre d’acteurs de cette transition. On y échange volontiers autour de Venise, des enjeux écologiques et économiques, plus étonnamment autour de la spiritualité et des mystères de cette ville magnétique.
Pour inaugurer cette Forge du Futur, il fallait un premier acte capable de porter toute la force de l’intention de SUMus. D’incarner ce trajet initiatique qui transmute les crises en moteur de changement. L’art étant un langage universel, ce sera l’exposition
Du chaos à l’harmonie, où une trilogie d’artistes exprime en chœur ce chemin de sagesse (voir encadré). «
Je souhaitais poser dans cette Forge du Futur un geste symbolique fort, qui polarise cette aspiration à cocréer un monde en harmonie avec le Vivant », témoigne Hélène Molinari. (...)