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Thanadoulas,
« accoucheuses »
de
fin
de
vie

Elles accompagnent le passage vers l’autre rive. Les thanadoulas soutiennent ceux qui s’apprêtent à mourir et leur entourage dans cette étape de vie escarpée. Un métier en plein boom depuis la Covid-19.
Thanadoulas, « accoucheuses » de fin de vie
Fin de vie
Nous connaissions les doulas qui offrent un accompagnement non médical à l’abord de l’accouchement. Les thanadoulas, elles, guident vers l’autre versant de la vie : l’ultime mise au monde qui entoure le processus du mourir, passage initiatique par excellence. Leur nom est emprunté au grec ancien – thanatos, personnification de la mort, et doula qui signifie originellement « servante », « femme esclave ». À l’époque de Périclès et Socrate, la doula s’occupe des tâches et soins apportés à la maisonnée, dont l’étape de la maternité. Plus près de nous, jusque dans les années 1950, on trouve dans les campagnes françaises « la femme qui aide » ou « la laveuse ». On a recours à cette assistante locale, elle-même mère, pour épauler la femme enceinte et la famille lors de l’accouchement, aux côtés de la sage-femme. Elle donne le premier bain au bébé et guide la maman dans l’allaitement. Mais elle intervient aussi pour laver et préparer les morts.

Elle accompagne donc « l’entrée et la sortie au monde », comme l’explique l’association Doulas de France. Dans l’absurde de notre époque aux technologies médicales de pointe, mais qui nous laisse démunis aux moments charnières de la vie, doulas et thanadoulas ont pris le relais. Elles prodiguent écoute, conseils et bienveillance aux deux pôles de l’existence : naissance et fin de vie.


Pacifier le passage


Anne, enseignante de profession, a été traumatisée par la mort de son père, décédé en pleine pandémie de Covid-19 : elle n’a pu ni le voir, ni l’accompagner lors de ses derniers instants, ni organiser une cérémonie digne de ce nom. « Cet adieu interdit a rendu le deuil impossible », dit-elle, la voix nouée par l’émotion. Sa mère est tombée en dépression, et avant de contracter un cancer agressif en 2021. Quand le pronostic vital a été engagé, mère et fille, marquées par l’inhumanité de cette perte récente, ont décidé de se faire aider par une doula de fin de vie – métier découvert par Anne dans la presse. « La présence de cette thanadoula a contribué à donner du sens, du sacré même, à ce passage de vie si douloureux. Comme je suis fille unique, elle a pris le relais auprès de ma mère lorsque je devais travailler. Elle l’a écoutée, accompagnée dans ce qu’elle souhaitait poser et accomplir avant de partir (notamment se réconcilier avec son frère), car ma mère n’osait pas me parler de sa mort. Elle a aussi été à l’écoute de mes questionnements. À présent, elle me soutient dans le deuil », confie Anne. Selon elle, cet accompagnement singulier, à géométrie variable en fonction des besoins, a apporté un immense réconfort : « Ma mère est partie pacifiée, et nous étions apaisés de la voir plus sereine à l’approche de la mort. » Phénomène récent, le métier de thanadoula connaît une forte croissance depuis la Covid-19 (voir encadré). La pandémie a suscité un électrochoc : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité – à part pendant les guerres –, on n’a pas pris soin de nos mourants et de nos défunts. « Que l’on soit croyant ou pas, d’ici ou d’une tribu aborigène, dans toute civilisation, la mort est sacrée, et ce passage, ritualisé. D’ailleurs, il y a quelques générations, nous étions tous des thanadoulas ! Au moment de la Covid-19, le fait que des personnes ont fini javellisées dans des housses à l’hôpital sans que leurs proches puissent les voir une dernière fois a créé un profond traumatisme. On n’a pas pu rendre hommage à la vie de l’autre, au “passage”. L’arrivée des thanadoulas va dans ce sens-là : surtout, ne pas passer à côté de notre humanité, car s’occuper de nos morts, c’est aussi prendre soin de la vie », souligne Marie-Christine Laville, fondatrice de l’Institut deuils-doulas de fin de vie, qui forme des thanadoulas(1).


Accompagner les vivants


Une thanadoula (dans ce métier, le féminin l’emporte quasi exclusivement) accompagne ainsi le passage vers l’autre rive. Concrètement, elle intervient à la demande, parfois même bien avant l’engagement du pronostic vital. Les prestations sont rémunérées ; il s’agit donc bien d’un métier, souvent exercé sous forme d’activité complémentaire. La mort, ici, est considérée comme une étape de la vie à part entière.

« J’accompagne les vivants. J’ai l’habitude de dire que, de l’autre côté, il y a l’équipe relais », confie Marie-Christine Laville. Cette Franco-Suisse, naturopathe et thérapeute du deuil, souligne que cet accompagnement, qui va du pratico-pratique (conseils, informations sur certaines démarches, relais de la famille au chevet du mourant, etc.) au subtil, s’adresse aux différentes dimensions de l’être – allant de l’émotionnel au spirituel. La formation est à l’image de cette interdisciplinarité : mort dans l’histoire et les cultures, étapes du deuil, rites et cadre législatif, thérapies complémentaires, accompagnement de fin de vie, phénomènes de croissance accrue à l’approche de la mort, statut du métier, etc. « La doula de fin de vie est là pour échanger à propos des craintes et angoisses de la personne. Elle peut aider à planifier ses dernières volontés, ainsi que l’environnement dans lequel elle souhaite partir. »


Assurer l’entre-deux


Ces non-soignantes, que l’on surnomme parfois « sages-femmes de fin de vie » ou « sages-femmes de l’âme », veillent au vocabulaire utilisé pour ne pas être considérées comme des « illuminées », dans une société qui abhorre et rabote tout ce qui dépasse du cadre. Ce nouveau métier suscite, en effet, une certaine méfiance de la part d’institutions et de soignants qui craignent une prise de pouvoir à un moment de grande vulnérabilité. « L’éthique est au cœur de notre démarche, tempère Marie-Christine Laville. Accompagner l’humain dans cette extrémité de l’existence, c’est l’accompagner dans tout ce qu’il est, avec humilité, ouverture et un infini respect de ses (non-)croyances et affinités. » Les doulas de fin de vie sont un maillon dans le réseau. « Nous assurons un entre-deux : nous créons du tiers entre le mourant, la famille et les soignants, en articulant les demandes qui n’osent pas se formuler. » Dans cette inconnue radicale de la mort, les thanadoulas laissent une part au mystère et au sacré. Les rituels occupent une place de prédilection dans cet accompagnement foncièrement créatif, pouvant aller du choix d’un texte ou d’une musique symbolique à une cérémonie d’adieu. « Pour l’heure, j’accompagne un jeune de 15 ans à la conscience éveillée et à la lucidité accrue, qui sait qu’il va mourir, avec qui j’ai de profondes discussions, et un prêtre de 93 ans qui a peur de ne pas en avoir fait assez. Nous œuvrons sur son récit de vie. » Parfois, le silence est l’ultime prière, il s’impose comme un au-delà des mots…

Le boom des thanadoulas
Le concept de death doula serait né dans un service de soins palliatifs à New York, selon un rapport de Global Wellness. Un salarié frustré du peu de soutien réservé aux personnes en fin de vie aurait réfléchi à un accompagnement non médical permettant de soulager l’anxiété, la fréquente solitude des mourants, mais aussi le stress des proches. Il met alors en place la première formation professionnelle de death doula. Ce métier connaît un engouement croissant : la National End-of-Life Doula Alliance (NEDA), l’une des associations pionnières, comptait 219 membres en 2019, 1 000 en 2022 et 1 635 en octobre 2023, répartis principalement aux USA et dans onze autres pays (Canada, Australie, Singapour, Brésil, Afrique du Sud, Italie, Pays-Bas, Grande-Bretagne…). Certains organismes de formation, notamment en France et en Belgique, rapportent que les effectifs ont plus que triplé récemment, tout comme le nombre de gens qui sollicitent cet accompagnement, pour soi ou pour un proche.


(1) Retrouvez le témoignage de M.-C. Laville dans l’article « Euthanasie, la mort choisie ? », in Inexploré no 61.

À
propos

auteur

  • Carine Anselme

    Journaliste
    Après avoir aiguisé son art journalistique en qualité de rédactrice en chef de divers magazines belges, Carine Anselme décide un jour de ne plus tremper sa plume que dans ce qui la touche au plus profond de son être et qu’elle rassemble sous le vocable « écologie humaine ». De « Psychologies magazine » (édition belge) à « Bioinfo », en passant par « Gael », « Nest » ou encore « Terre Sauvage », elle est devenue une journaliste incontournable sur tous les sujets qui touchent aux médecines altern ...
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