Depuis toujours, sous toutes les latitudes, la danse fait partie des rituels de guérison et de célébration des cultures ancestrales comme traditionnelles. Le célèbre anthropologue Claude Lévi-Strauss conseillait déjà aux psychanalystes de s’inspirer de leurs grands prédécesseurs, chamanes et sorciers dansants, dont on retrouve la trace sur les parois des grottes paléolithiques. Les danses populaires, elles, se sont répandues, venant pour la plupart de l’Orient, par la Grèce et l’Italie. En France, elles étaient pratiquées dès le Moyen Âge. Toutes représentaient une forme de thérapie sociale, qui allait bien au-delà d’un simple défoulement.
Aujourd’hui, la danse-thérapie fait son come-back, et fleurissent nombre de pratiques, spécifiques, aux vertus bénéfiques tant sur le corps que sur la psyché. La psychanalyste, anthropologue et danse-thérapeute France SchottBillmann en rappelle le fondement :
« Le parquet de danse peut être assimilé à un divan où l’on parlerait avec son corps et avec le groupe. Dans l’analyse, on rencontre son inconscient ; dans la danse-thérapie, son ‘‘danseur’’, cette part de nous qui cherche à renouer de façon authentique avec soi, les autres, et la nature. » Toutes ont en commun la libre expression de soi et de ses émotions, et non l’apprentissage d’une technique. Nul miroir pour contrôler notre apparence ni chaussures, elles se pratiquent pieds nus, en musique, et parfois en pleine nature avec la symphonie des sons environnants.
Là où le tango ou la salsa mettent en scène le corps de manière codée, la danse-thérapie inaugure une aventure singulière avec le lieu de tous nos interdits. L’affirmation de soi et l’union consciente avec l’autre s’élaborent à chaque mouvement. On s’identifie ou on se distingue, on imite ou on se synchronise… Le corps, le groupe, la nature ! Et si le succès croissant de ces pratiques tenait à ces mots ? À quoi aspirons-nous réellement que nous propose la danse-thérapie ? Au fil des rencontres avec les fondateurs et les enseignants certifiés se profilent dans les grandes lignes les promesses de la danse-thérapie.
La danse des cinq rythmes : pour se reconnecter au corps
« Gabrielle Roth était une enseignante fascinée par le vivant et la possibilité créative de nos modes relationnels », confie Guillaume Laplane, enseignant certifié. Artiste américaine de renommée internationale, la fondatrice de la danse des cinq rythmes met au point cette approche dans les années 1960, à Esalen (Californie), la pépinière des pionniers de la pensée positive. Danseuse « emmurée dans une prison osseuse », comme elle se définissait, Gabrielle Roth confiait avoir tenté de se débrouiller sans ce corps. C’est pour y revenir et arrêter de s’échapper à elle-même qu’elle a créé la danse des cinq rythmes. À la confluence des recherches contemporaines sur les liens unissant le corps et la psyché, cette pratique est fondée sur une exploration du langage naturel du corps. Pour Gabrielle Roth, nous sommes dotés de cinq rythmes fondamentaux qui pulsent dans notre corps et dans l’univers, constituant une sorte d’ADN de notre processus créatif. Ainsi, réside dans notre corps ce trésor caché : le mouvement créateur qui est la véritable nature de notre être. Hélas, coupés de notre corps, nous peinons à y accéder et à nous réaliser pleinement.
« La reconnexion au corps est centrale dans la pratique ; c’est d’ailleurs une motivation partagée par de nombreux danseurs », confirme Guillaume Laplane.
Pour la fondatrice, il existe de bonnes raisons à cette fuite, communes à beaucoup d’entre nous :
« Dès l’enfance, nous nous sommes tant démenés pour démêler l’écheveau de ‘‘comment faire pour être aimé’’ que nous nous sommes coupés de notre ressenti et égarés dans un vaste champ, celui de nos attentes, de nos justifications. » Sa clé pour nous « reconnecter » consiste à opérer une bascule de notre champ d’attention par la pratique des cinq rythmes fondamentaux. Chacun en est une porte et nous y ramène de manière spécifique :
« Avec la Fluidité, la rondeur, c’est un retour à la matière, aux muscles, à l’ancrage au sol. Avec le Staccato, focus sur la structure, le squelette et la pulsation du cœur. Le Chaos amène de la déconstruction, du lâcher-prise. Le Lyrique invite les bras et les mains dans un rythme aérien, et apporte de la légèreté. Et enfin, la Quiétude ouvre l’espace de la conscience », détaille Guillaume Laplane. Alors s’ouvre un nouvel espace intérieur !
Avoir recours au mouvement nous emmène dans la profondeur de nos émotions et de nos souvenirs.
Des relations plus authentiques !
« À notre époque où les relations se complexifient, la danse des cinq rythmes peut nous apporter des clés inattendues », a pu observer Guillaume Laplane. Pour la fondatrice, les problèmes relationnels proviendraient d’une part, de la méconnaissance de nos propres rythmes, enfouis sous des années de comportements d’adaptation, de protection. Et d’autre part, de nos difficultés à exprimer nos émotions. Résultat : nous sommes figés dans des attitudes qui entravent une libre évolution de la relation. De quelle manière y remédier ?
« Repérer ses propres rythmes permet de mieux se connaître, d’accueillir ses émotions et donc de dialoguer avec l’autre plus librement », assure Guillaume Laplane. Contacter son espace de liberté pour inviter l’autre à faire de même est la clé. Le challenge consiste à rester dans son propre rythme (Staccato/affirmé, Fluide/conciliant…), sans se faire happer ni chercher à dominer, ce qui arrive le plus souvent. En pratique, le plus important est de revenir à l’organique : mes os, mon bassin, ma respiration… Alors, les jugements disparaissent pour céder la place au plaisir du jeu.
Ce qui compte, c’est l’interaction, et s’ouvrir à une danse créative avec l’autre. Durant la « vague » (qui constitue l’enchaînement des cinq rythmes), nous pouvons rencontrer de nombreux « danseurs partenaires », qui sont autant d’occasions de prendre conscience de nos modes relationnels et d’en explorer de nouveaux. Cette qualité de présence devient alors disponible à n’importe quel moment de notre quotidien.
« Sur le parquet de danse, vous avez tracé de nouveaux canaux que vous pourrez emprunter plus facilement dans la vraie vie », assure l’enseignant. Au final, la danse des cinq rythmes nous offre un espace où nous sommes plus disponibles à cette intelligence du corps qui nous met en mouvement. Après de nombreuses années de pratique, Guillaume Laplane témoigne :
« Il est possible d’explorer une nouvelle manière d’être, plus vivante, spontanée et authentique, moins ballottée par nos émotions. »
Le Life Art Process : faire émerger sa mythologie personnelle
« Le Life Art Process est une approche ‘‘intermodale’’ avec, comme support artistique principal, la danse et le mouvement, auxquels se combinent le dessin, l’écriture créative, la voix », explique d’emblée Stéphane Vernier, praticien certifié, cofondateur de
Tamalpa France et ostéopathe. Pas de prérequis pour cette pratique, hormis « cet engagement pleinement artistique, pour faire jaillir l’intime de soi et transformer ce qui doit l’être », cher à sa fondatrice Anna Halprin. Pionnière de la danse postmoderne américaine dans les années 1950, elle a contribué à révolutionner cette pratique, influencée notamment par Fritz Perls, Moshe Feldenkrais et Carl Rogers. Son art scénique a évolué avec, en fil rouge, la danse comme processus de transformation et de guérison. Avec sa fille, Daria Halprin, elle a créé des passerelles entre le mouvement, l’art et la psychologie, donnant ainsi forme à la méthodologie actuelle, aux vertus thérapeutiques :
le Life Art Process. Inspiré, entre autres, des recherches de l’anatomiste Margaret H’Doubler, le Life Art Process a pour premier objectif de revenir à l’organique, à la mémoire corporelle.
« Notre corps contient des os, des muscles, des organes, et aussi l’histoire de notre vie, notre mythologie personnelle, souligne Stéphane Vernier. Chacune de nos expériences, si infimes soient-elles, sont enregistrées, inscrites organiquement, et y sont associés nos croyances et nos comportements », poursuit-il. Nous sommes telle une grande bibliothèque, dans laquelle serait compilé notre vécu, nous façonnant corporellement et laissant des empreintes créatives… ou limitantes.
« Le Life Art Process repose sur l’idée qu’il nous est possible d’avoir accès au répertoire entier de nos expériences, que nous pouvons ‘‘activer’’ grâce au mouvement, à la danse », nous livre Marie Motais, cofondatrice de
Tamalpa France.
Avoir recours au mouvement nous emmène dans la profondeur de nos émotions et de nos souvenirs.
« La forme qui émerge de nos danses est révélatrice de nos scénarios de vie, parfois récurrents. » En nous montrant attentifs, nous sommes alors en mesure d’explorer ce qui remonte à la surface.
« On commence, bien sûr, par générer des ressources, une connexion à quelque chose de sécurisant, pour que la ‘‘vérité’’ de la personne puisse émerger », ajoute Marie Motais. Julie en impulsant un premier mouvement, ressent d’emblée l’énergie chaleureuse de sa grand-mère. Arthur sautille, animé par la joie du souvenir des jeux avec son oncle sous le pommier de son enfance. Alors, le travail en profondeur peut commencer.
Le mouvement créateur est la véritable nature de notre être.
L’art pour changer… et guérir !
L’objectif de cette pratique est de faire une expérience de soi différente pour sortir de ses propres histoires. Comment ?
« Par un décentrage artistique, axé principalement sur le mouvement, la danse, mais aussi le dessin, la poésie », répond Stéphane Vernier. Dans l’espace rassurant du studio de danse, il est possible de « jouer » artistiquement avec cette matière, grâce à notre potentiel créatif.
« Concrètement, prendre conscience de vos épaules crispées vers le haut, en protection, et les descendre, va avoir un impact sur votre vie, vos relations », ajoute-t-il. Il ne s’agit pas de corriger la posture, mais de l’observer et d’en faire pleinement l’expérience pour établir un dialogue…
« Qu’est-ce qu’elle te raconte ? Si elle avait une voix, qu’est-ce qu’elle te dirait ? », poursuit l’enseignant. Le
Life Art Process nous permet de faire apparaître ce que nous avons enfoui et d’exprimer nos « vieilles histoires » sous des formes inconnues de nous. Peut-on parler de guérison ? Guérir est un événement imprévisible, dont l’issue ne nous appartient pas. En revanche, s’engager dans le processus de guérison, qui lui s’ancre dans la danse, une pratique ancestrale, toujours efficiente aujourd’hui, peut nous ouvrir la voie.
« Les opportunités explorées en studio vont générer de la nouveauté dans la vie. Quand le même événement se produit, au lieu de répondre de manière réactive et habituelle, je vais plus naturellement chercher une réponse créative », précise l’enseignant. Bien souvent, au bout de ce voyage naît un regard neuf sur notre vie.
La danse-médecine : reprendre notre juste place
Sur le parquet de danse, la présence de quatre bannières portant les symboles feu, air, terre, eau aux coins de la salle donne une atmosphère particulière.
« Elles représentent les quatre directions, ce sont des balises de la danse-médecine », explique Cyrill Chantereau, enseignant certifié. Pour les fondateurs anglais, Susannah et Ya’Acov Darling Khan, la danse-médecine, (Mouvement Medecine) peut nous éveiller à notre plein potentiel. Comment ? Une fois conscients de l’endroit d’où nous venons et où nous sommes à cet instant, alors nous pourrons prendre la responsabilité du lieu où nous allons, d’un point de vue individuel, sociétal et planétaire. Un projet qui peut paraître ambitieux, mais qui pour eux est le fondement de notre existence, et de la pratique.
« Nous ne faisons qu’un avec la nature ! », rappelle Cyrill Chantereau. Danser les quatre éléments va réveiller la mémoire de notre appartenance à notre environnement. Dans ses séminaires, Ya’Acov Darling Khan, très engagé dans la cause écologique, rappelle que nous sommes faits à 75 % d’eau, et que
« quelle que soit celle que nous buvons, c’est l’eau de la planète qui coule dans notre sang et nos tissus. Quant à l’air que nous respirons, il existe depuis des milliards d’années, partagé par tous les êtres humains. » Physiquement, nous sommes donc irréductiblement reliés au monde et aux autres êtres. Danser le feu, la terre, l’eau, l’air permet de prendre conscience de notre connexion avec la vie sur terre, les éléments qui la constituent, et avec les autres. Alors, comment s’y prendre ?
« Dans un premier temps, on sollicite l’imagination : vous êtes la terre, une montagne, une vallée, tout en portant votre attention sur votre corps, votre structure osseuse », répond Cyrill Chantereau. La plupart du temps, le centre de gravité descend, le bassin se rapproche du sol, les jambes éprouvent la stabilité, les danseurs font l’expérience de son soutien.
« Pour le feu, la consigne est par exemple de sentir la chaleur du soleil, le grondement d’un volcan, les crépitements d’un feu de cheminée… », ajoute-t-il. À la clé, un regain d’énergie, de joie… Peu à peu, chacun va se laisser « danser » par l’élément.
« Inévitablement, une bascule se produit dans notre conscience ; nous retrouvons notre juste place dans notre environnement et dans l’univers », assure Ya’Acov Darling Khan. Une priorité selon la voie chamanique, pour qui cette destruction environnementale proviendrait en partie du fait qu’on s’en sente « séparé ».
Honorer ses ancêtres
« Nous portons tous des héritages transgénérationnels qui peuvent se répéter et créer à notre insu des situations défavorables à notre épanouissement », rappelle Cyrill Chantereau. La danse offre la possibilité de s’en libérer. Il s’agit d’instaurer un dialogue avec ses ancêtres, pour recueillir des indices, des informations, des prises de conscience, pour ensuite lâcher. « Reconnaître, se libérer et nettoyer nos relations à notre lignée se fait à partir de l’impact actuel, sans chercher à connaître l’histoire dans les détails », précise l’enseignant. Une des pratiques consiste à sentir ou imaginer l’esprit de ses ancêtres derrière soi, le passé, puis à se retourner pour y faire face et « se laisser danser », en appelant le soutien des quatre éléments. « Lors d’une danse des ancêtres, j’ai pris conscience que je ne connaissais pas mes grands-pères, les hommes étaient absents dans ma famille, et je construisais des relations avec des ‘‘hommes absents’’ », partage Marie.
Danser le feu pour brûler, transformer, et l’eau pour purifier, laver, permet de libérer la mémoire corporelle, qui nous oblige parfois à répéter le même schéma. La guérison n’est pas magique, il est possible qu’il faille pratiquer cette danse à plusieurs reprises, bien sûr. Autre élément, puissant vecteur de transformation : remercier ! « La gratitude pour mon histoire, qui a fait de moi qui je suis, est capitale. Je remercie mes ancêtres, et je fais le choix de me libérer, pour créer mon propre chemin », insiste Cyrill Chantereau. Danser la gratitude pour notre lignée permet un changement de fréquence intérieure, pour enfin porter notre attention sur le miracle permanent de la vie, et reprendre la responsabilité de notre bonheur.
Danse des cinq rythmes et nature
« Explorer le mouvement et danser en pleine nature ouvre à une présence réceptive et organique, les cinq sens en éveil. L’identité d’un lieu, ses matières, ses couleurs, ses lumières, sa temporalité, son histoire, ses cycles, sont autant de supports spécifiques pour révéler des métaphores qui font écho à nos vies. À nos modes de relation à soi, aux autres et au monde. Ces temps privilégiés deviennent catalyseurs de ‘‘déconnexion’’ face à un quotidien en saturation, et de reconnexion à ce qui se révèle essentiel. » Guillaume Laplane