Le
rêve
dans
l’Antiquité

Dans l’Antiquité, la divination était la voie souveraine pour éclairer le mystère de la destinée. Elle était un mode de lecture de la réalité, une manière de « voir » dans un monde où la vision constituait le premier mode de connaissance. Même au cœur du rêve...
Le rêve dans l’Antiquité
Savoirs ancestraux
Le rêve est à la fois l’expérience la plus commune aux hommes et la plus mystérieuse. Une étude sérieuse du rêve exigerait la prise en compte de tous les domaines de la connaissance. Rien de ce qui concerne l’homme n’est étranger au rêve et réciproquement. Connaître l’homme c’est le connaître dans ses rêves et par ses rêves. Même logique pour la folie. Rêve et folie, deux domaines où la raison semble repoussée, provoquée jusqu’en ses derniers retranchements, deux domaines où les lois de la physique, les logiques temporelle et spatiale, sont inopérantes. Même les lois de la morale paraissent bafouées ou sont inconnues. Depuis le XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui la science positiviste représentée par la neurophysiologie et la psychologie cognitiviste ont fait entrer le rêve dans leurs laboratoires de recherche. Une fois de plus (cela avait déjà commencé avec les théories sur la folie), l’un des derniers bastions de l’humanité – c’est-à-dire l’un des derniers lieux où l’homme peut être considéré comme spécifiquement humain, l’homme même, l’homme en tant qu’homme – est attaqué avec force. Le rêve est passé au gril de l’expérimentation, il est soumis aux grilles de l’interprétation physico-psychologico-chimique. Mais parle-t-on vraiment du rêve ? En quoi l’activité électrique enregistrée pendant le sommeil nous enseigne-t-elle sur le rêve ? Quelle confusion ! De la même façon que la psychologie contemporaine confond la pensée et les fonctions cognitives, la neurophysiologie confond le rêve et l’activité cérébrale électrique et biologique. Cette confusion participe d’un mouvement plus ample qui finira par la transformation de l’homme en un automate, l’animal-machine dont parlait Descartes.

Transposée dans le domaine de l’art, la question du lien entre le rêve et l’activité électrique cérébrale, pourrait s’exprimer en ces termes : l’étude du pigment de la peinture ou l’analyse du bois utilisé pour le tableau nous disent-elles quelque chose sur le sourire de la Joconde ? L’activité électrique et chimique du cerveau dormant est également présente chez grand nombre d’animaux, mais qu’en est-il du rêve ? L’animal rêve sans doute, mais nous ne parlons pas de l’expérience onirique propre à l’homme ; l’animal communique mais il ne parle pas… Essentielle, ancienne et toujours moderne question : « où est l’homme ? ». Différence de nature ou de degré entre l’homme et l’animal ? Le regain d’intérêt pour la question rêve réactualise ce débat. Les questions posées par l’étude du rêve appartiennent tout autant à la philosophie, la physiologie, la psychologie, l’ethnologie, la théologie etc. Elles trouvent des résonances et des réponses dans la littérature, la poésie, l’art. Elles invitent à ouvrir notre horizon : comment était appréhendé le rêve pendant la préhistoire, dans l’Antiquité, au Moyen-âge, comment est-il conçu aujourd’hui ? Quels domaines de réflexion et d’action ne seraient pas concernés par le rêve ? Je dis : aucun !

L’information simplette selon laquelle un homme âgé de plus de 70 ans aurait passé au moins cinquante mille heures de sa vie à rêver, c’est-à-dire six années pleines, nous éloigne de la réalité du rêve en diminuant son importance, en la réduisant à la seule expérience onirique durant le sommeil. En fait, l’homme passe la plus grande partie de sa vie à rêver. Ainsi, écoutant attentivement son professeur, l’étudiant passe, par intermittence, la plus grande partie du cours dans cette autre dimension qui sans aller « jusqu’à la lune » le transporte dans un ailleurs fait de souvenirs, de désirs, de craintes ou de plaisir. Passons-nous la plus grande partie de notre vie dans la lune ou sur terre ? La métaphore est tentante, mais il est plus juste de dire que nous passons notre temps entre les deux, dans le trajet. Nous passons tous, le plus souvent à notre insu, une majeure partie de notre temps entre les deux rives de l’ici et du là-bas. Cet entre-deux est le lieu où se joue la condition humaine ; nous ne sommes ni des automates complètement absorbés dans notre action, ni des spectres totalement étrangers au monde sensible. La condition humaine se joue dans ce mouvement, va-et-vient comme une danse, entre les deux réalités, réalité de l’ici et maintenant et réalité du là-bas et intemporel. Mouvement permanent évoqué par l’étymologie du verbe rêver, de l’ancien français desver « perdre le sens », esver « vagabonder » rattaché au latin populaire exvagus « qui va à l’aventure, qui erre ça et là ». Les langues germaniques proposent une racine différente mais l’idée du mouvement est toujours là : la racine draugr (Traum en allemand, dream en anglais) désigne un mort qui revient hanter les vivants. Il y a donc ce lien fort qui unit le rêve au monde de l’au-delà. Dans les ouvrages anciens, scientifiques ou littéraires, philosophiques ou religieux, le mot songe est plus souvent usité. Du latin somnium « rêve », le songe est aussi utilisé pour désigner « une chimère, l’extravagance ». Au XVe siècle, « songer » signifiait « laisser errer sa pensée », puis « penser », « réfléchir » (quand je songe que….). Le rapprochement paronymique a souvent été fait entre songe et mensonge. Le passage du mot songe au mot rêve (utilisé plus couramment à partir du XVIIe siècle) est contemporain d’un nouveau regard porté sur le rêve, regard à la fois plus physiologique et plus psychologique. Bien que ce changement de perspective ne soit pas le fait d’un seul homme, il peut être illustré par le philosophe Descartes qui d’une part, situe ce point de perspective à l’endroit même du cogito et d’autre part décrit, dans son Traité de l’homme (1633), une physiologie du rêve hors de toute approche surnaturelle et hors de toute dimension collective, qui considérerait, le rêve comme un savoir extérieur, un lien avec une parole extérieure. Depuis Descartes, la pensée est confondue avec la conscience : je pense donc je suis. Cette nouvelle perspective est contemporaine des découvertes de l’optique avec Kepler et de ses implications dans l’ordre de la connaissance et de la compréhension. Il est bien loin le temps où le poète grec, Pindare, pouvait dire : « L’homme est le rêve d’une ombre ». Dans l’Antiquité et en raison de sa part divine, l’homme est à la fois inaccessible comme une ombre qui se dérobe, et tellement prévisible dans l’ordre de sa destinée. La divination était la voie souveraine pour éclairer le mystère de cette destinée. Elle était un mode de lecture de la réalité, une manière de « voir » dans un monde où, justement, la vision constituait le premier mode de connaissance. Même au coeur du rêve… les Grecs ne disaient pas « j’ai fait un rêve », mais « j’ai vu en rêve »...

L'accès à l'intégralité de l'article est réservé aux abonnés « Inexploré digital »

À
propos

auteur

  • Dr. Serge Tribolet

    psychiatre
    Serge Tribolet est psychiatre des Hôpitaux de Paris et docteur en philosophie. Parallèlement à son activité médicale, il est enseignant, conférencier et auteur de nombreux ouvrages spécialisés. ...
flower

Les
articles
similaires

  • Valérie Fauchet - La voyance sans fard
    Perceptions

    Voir le passé, le présent et l’avenir, qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce un fardeau ou une aide ? Cela préserve-t-il des épreuves pour autant ? Si Valérie Fauchet voit l’intimité des gens, elle qui s’était promis de ne pas dévoiler la sienne ...

    26 décembre 2019

    Valérie Fauchet - La voyance sans fard

    Lire l'article
  • Rêver et influencer le futur ?
    Perceptions

    Si elles étaient couramment recherchées dans nos sociétés ancestrales, afin de maîtriser un avenir incertain, les prémonitions sont aujourd’hui de l’ordre de l’intime ou du sensationnel, en tous cas, peu prises au sérieux. Pourtant, certains experts apportent des pistes d’explication ...

    12 juillet 2020

    Rêver et influencer le futur ?

    Lire l'article
  • Les mystères de la conscience
    Perceptions

    Les recherches sur les phénomènes paranormaux s’intéressent notamment aux aspects mystérieux de la conscience. En leur cœur : le concept de « psi ». Le psi serait le facteur inexpliqué à l’origine des phénomènes extraordinaires tels que la télépathie, la ...

    1 octobre 2019

    Les mystères de la conscience

    Lire l'article
  • Vie consciente, rêves lucides
    Perceptions

    Auteur du premier livre paru en français sur les rêves lucides en 1983, Vivre ses rêves, Olivier Clerc explique ici son cheminement vers la lucidité en rêve.

    9 mars 2010

    Vie consciente, rêves lucides

    Lire l'article
  • Les sibylles ou l’art de la divination, d’hier à aujourd’hui
    Âme du monde

    Depuis l’Antiquité, les oracles marquent les époques, et l’art divinatoire a aujourd’hui le vent en poupe. Des formes modernes de divination, inspirées du Tarot de Marseille, des runes et d’autres traditions s’épanouissent, mêlant mystique et contemporain.

    6 juin 2024

    Les sibylles ou l’art de la divination, d’hier à aujourd’hui

    Lire l'article
  • Comprendre et diriger ses rêves
    Perceptions

    Comment définir un rêve ? C’était autrefois un récit que l’on pouvait faire le matin, oralement à son psychanalyste ou par écrit sur son journal de bord. C’est devenu un objet scientifique, étudié dans les laboratoires du sommeil des Universités ...

    16 juin 2010

    Comprendre et diriger ses rêves

    Lire l'article
  • Rêves lucides au Cinéma
    Perceptions

    Le terme « rêve lucide » fut introduit en 1913 par le psychiatre hollandais Frederik van Eeden. Il en avait lui-même eut plusieurs centaines qu’il avait répertoriés et classifiés. Les recherches scientifiques se sont poursuivies pour aboutir à la mise en évidence ...

    11 mai 2011

    Rêves lucides au Cinéma

    Lire l'article
  • Les visions chez les Shipibo-Conibo
    Savoirs ancestraux

    Chez les Shipibo-Conibo, les visions et les rêves occupent une place centrale et sont la représentation d’une autre « réalité ». Pour bien les appréhender, il est nécessaire d’en comprendre l’univers chamanique et de connaître comment ce peuple intègre différentes dimensions du ...

    21 août 2011

    Les visions chez les Shipibo-Conibo

    Lire l'article
Voir tous les articles

Écoutez
nos podcasts

Écoutez les dossiers audio d’Inexploré mag. et prolongez nos enquêtes avec des entretiens audio.

Écoutez
background image background image
L’INREES utilise des cookies nécessaires au bon fonctionnement technique du site internet. Ces cookies sont indispensables pour permettre la connexion à votre compte, optimiser votre navigation et sécuriser les processus de commande. L’INREES n’utilise pas de cookies paramétrables. En cliquant sur ‘accepter’ vous acceptez ces cookies strictement nécessaires à une expérience de navigation sur notre site. [En savoir plus] [Accepter] [Refuser]