Courant 2019, un célèbre médium a été la cible d’un
groupe de mentalistes, prêts à prouver qu’avec leurs
trucages, ils sont capables des mêmes prouesses :
faire croire qu’ils communiquent avec des défunts.
Alors que penser de tout cela, quand nous n’avons
pas nous-mêmes des antennes ? L’individu lambda
que nous sommes peut-il être dupé, le médium
n’est-il qu’un super mentaliste entraîné ou, de son
côté, un mentaliste a-t-il des capacités médiumniques
qu’il ignore ? Qu’est-ce qui est réellement
capté durant une consultation ? Est-ce un message
de l’au-delà envoyé par un défunt, une lecture de
l’inconscient du client ou encore des parcelles de
mémoires akashiques ?
Mentalisme : lire l’esprit
Les mentalistes sont avant tout des personnages de
spectacle qui veulent divertir. Ces « prestidigitateurs
de l’esprit » bien entraînés peuvent en quelques
minutes deviner votre métier, votre âge, votre prénom…
à l’aide d’une série de méthodes combinées
entre elles et de nombreuses années de pratique. Cédric
Hédiard, spécialiste de cet art, explique «
qu’un
mentaliste est un artiste qui utilise des trucs comme la
communication non verbale et détournée, ou l’hypnose
conversationnelle, et il s’appuie sur des procédés d’illusionniste
qui aident à obtenir des informations. Il use de
la psychologie dans un spectacle, des expériences mentales
ou encore des techniques pour orienter les gens, mais c’est
un trucage ». Se livrer à des déductions d’après des
stéréotypes associés à l’âge, aux vêtements, ou porter
attention aux micro-expressions du visage que
nous faisons à l’énoncé de plusieurs options, faire des
« lectures » dites à froid, à chaud ou stockées après
des recherches sur Internet, tout ceci permet de deviner
bien des éléments face à un public ébahi. Mais
jusqu’où peut-on manipuler une personne ?
Le célèbre
mentaliste français Fabien Olicard pense que «
c’est l’observation psychologique plutôt que la partie
mentaliste qui pourrait manipuler des réponses ; interpréter
un début de “non” ou de “oui” avec les mouvements
corporels permet d’affiner des déclarations, par
exemple. Mais le mentaliste utilisera toujours des lieux
communs, puis refermera les possibilités au fur et à mesure.
Tout en faisant ce chemin-là, il va essayer de faire
oublier les étapes précédentes à la personne qui a donné
des indices sans s’en rendre compte ». S’il voulait jouer
au médium, il ne pourrait que deviner un existant,
inventer des messages qui « vont à tout le monde »,
tenter des déductions grâce au hasard et détourner
l’attention en cas d’échec, creuser la piste en cas de
validation. Mais tiendrait-il la blague suffisamment
longtemps, et pourrait-il, à l’instar de certains médiums,
sortir des secrets de famille inconnus des
consultants, ou leur transmettre un message si précis
qu’il ne pourrait que leur être adressé ? Là aussi, Fabien
Olicard s’amuse : «
Je ne serais pas capable de faire
une vraie séance de médium. Je pourrais juste jouer avec
leurs souvenirs ou leurs espoirs, ou avec leurs peurs, mais
je ne pourrais pas leur dire autre chose que ce qu’ils savaient
ou espéraient déjà. Au téléphone, je serais très vite
limité, sans voir le visage, les habits, le comportement,
l’âge… au-delà de 20 minutes, je serais démasqué ! »
Les médiums témoignent être comme des antennes émotives, ils ressentent physiquement les messages.
L’inverse du mental : le médium
De leur côté, les médiums obtiennent des informations
sans faire aucun effort de « réflexion ». Leur manière
de travailler diffère d’une personne à une autre, d’aucuns
diraient d’un défunt « contactant » à un autre,
tant il y a investigation de l’esprit dans la conscience
du receveur. Les médiums témoignent être comme
des antennes émotives, ils ressentent physiquement les
messages, les impressions, les sentiments des défunts et
doivent les interpréter. Les médiums vont alors avoir
recours aux réponses du consultant pour valider les
informations et cela leur est reproché comme une tentative
d’influencer. Marylène Coulombe, une médium
canadienne, explique : «
J’ai besoin du nom et de la date
de décès et après je donne des informations. Je ne cherche
pas la validation à tout bout de champ, mais il est vrai
qu’elle m’est nécessaire pour alimenter la communication
en énergie. Lorsque je pose des questions, c’est aussi pour
m’assurer que je suis encore avec la bonne personne. »
Autant les mentalistes sont admirés pour leurs capacités
pseudo-divinatoires, autant les médiums sont critiqués
pour leurs imprécisions.
Les premiers devinent
l’existant, les seconds doivent apporter des preuves
avec des outils beaucoup plus aléatoires et ils ne sont
pas toujours capables de répondre à des questions
précises. Julie Beischel, pharmacologue, cofondatrice
et directrice de recherche du Windbridge Institute
aux États-Unis, qui se consacre depuis une quinzaine
d’années à l’étude scientifique de la médiumnité,
avance l’hypothèse de l’utilisation des hémisphères
du cerveau : «
Les noms et les dates posent problème à
de nombreux médiums. Je pense que c’est parce que ces
informations dépendent du cerveau gauche, alors que la
médiumnité est un processus qui passe principalement
par le cerveau droit. » À la différence, les mentalistes
n’utilisent quasiment que le cerveau gauche lors de
leurs tours. La médium Loan Miège confirme : «
Le
cerveau droit est celui de la réceptivité, celui qui va capter
les messages de l’invisible. Mais si on a envie d’avoir
des infos précises, cela demande un basculement vers le
cerveau gauche et généralement c’est là qu’on ne “reçoit”
plus rien. Difficile d’avoir la connectivité au niveau des
deux cerveaux en même temps pour avoir les informations
demandées ! »
Ce qui est compliqué pour le médium, c’est qu’à
l’opposé du mentaliste, il doit justement « lâcher »
le mental pour que les informations lui parviennent.
Aurore Roegiers, canal et médium, témoigne :
«
Quand je canalise, eh bien justement il ne se passe
rien : l’énergie passe juste à travers moi. Je n’ai aucune
intention vis-à-vis de la personne. Je reste centrée sur la
réceptivité des informations. Si j’ai le moindre jugement
ou doute, la guidance ne sera pas bonne. »
Recherches scientifiques
sur la médiumnité
L’équipe dirigée par Julie Beischel a recours à des
protocoles de tests rigoureux lors de ses études, de
manière à éviter les fraudes. Par exemple, un panel
de médiums doit répondre à des questions – au téléphone
pour ne pas voir les réactions de l’interlocuteur
qui enregistre les données – au sujet d’une personne
défunte dont il n’a que le prénom. Les résultats
obtenus sont de l’ordre de deux tiers de réponses
correctes, ce qui est bien au-dessus d’un ratio dû au
hasard. Gary Schwartz est un psychologue américain
qui a lui aussi conduit de nombreuses études respectant
des protocoles scientifiques implacables, et a
obtenu parfois plus de 80 % de bonnes réponses. Il
témoigne : «
Les professionnels de la manipulation deviennent
blêmes lorsque nous les défions de nous fournir
des informations si précises et si particulières lors d’une
séance avec un participant dont ils ignorent tout. Par
ailleurs, les sceptiques qui affirment que les médiums arrivent à nous duper n’ont pas été capables de faire ressortir
de notre protocole expérimental la moindre faille
susceptible d’expliquer les résultats obtenus. Les médiums
ont fourni des informations parfois effrayantes, douloureuses,
choquantes et, dans certains cas, inconnues du
participant même, mais par la suite confirmées. »
C’est ce qu’on appelle « obtenir des informations en
dehors des circuits ordinaires ».
Pour Julie Beischel,
cela délimite trois axes potentiels de processus :
«
Nous ne pouvons conclure que les médiums communiquent
avec les morts directement. Mais puisqu’ils
n’acquièrent pas l’information à travers un moyen de
détection normal, il y aurait trois explications suprasensorielles
concurrentes. » Elle les présente donc comme
étant : la survie de la conscience après la mort, des
capacités suprapsychiques – la télépathie, la clairvoyance
ou la précognition – ou la lecture d’un
champ informationnel du type mémoires akashiques,
qui serait donc accessible à certains. Aujourd’hui,
nous ne pouvons pas vraiment trancher en faveur de l’une de ces pistes. Ce qui est probable, c’est
qu’il s’agit d’une combinaison de plusieurs facteurs.
Ce qui est compliqué
pour le médium, c’est qu’à
l’opposé du mentaliste,
il doit justement « lâcher »
le mental.
Conscience désincarnée ?
Le D
r Gary Schwartz a mené beaucoup d’expériences
de consultations de médiums dans lesquelles se sont
mêlées des séries d’imprévus et de surprises étonnantes.
Il a publié un ouvrage comprenant des parcours
et des témoignages très précis. De ces études
ressort l’hypothèse d’une véritable expression personnifiée
de l’information : en gros, les réponses semblent
avoir « du caractère » ! «
Les informations reçues par
les médiums révélaient des propriétés laissant fortement
sous-entendre l’existence d’une intention, d’une affirmation
de soi, d’une prise de décision, d’une maîtrise
de soi, d’un désaccord, d’un entêtement, etc., caractéristiques
que les personnes avaient de leur vivant et qui
semblaient se poursuivre après leur mort ! », explique le
scientifique. C’est l’expérience personnelle qui peut
« invalider » l’aspect scientifique, mais c’est aussi elle
qui est source de preuve… Paradoxe incontournable
et ironie, le vivant est le seul à pouvoir confirmer s’il
reconnaît son défunt avec sa subjectivité.
De leur côté, les médiums témoignent de leurs ressentis.
Ils distinguent la sensation d’un contact avec une personne décédée de la simple réception
d’une information qui serait « désincarnée » et
captée de manière suprapsychique. «
Quand j’ai un
contact avec un défunt, je vois son image physiquement
une fraction de seconde, je suis capable de le dépeindre,
ensuite j’ai des messages, des phrases, des mots, c’est ma
voix qui résonne, parfois j’ai un accent, même si c’est
ma voix que j’ai dans ma tête, mais cela n’a rien à voir
avec une intuition », témoigne la médium Karinne
Bens Corsia. Cette dernière fait partie des médiums
qui travaillent en collaboration avec la police et retrouvent
des personnes disparues ou apportent leur
aide pour résoudre des enquêtes. Lorsque cela fonctionne,
cela ne relève bien entendu pas du mentalisme
ni de l’escroquerie. La science peut observer
le résultat, mais serait en peine aujourd’hui d’en
prouver l’origine. Enfin, Julie Beischel fait référence
aux enfants médiums qui sont très spontanés dans
leurs témoignages. Ils évoquent la présence de personnes
décédées de manière claire et n’ont pas autant
d’a priori que les adultes concernant leurs capacités.
Lire le réel, lire des mémoires
Qu’un médium soit mentaliste, capable de décrypter
des réponses subtilement données par le vivant qui le
consulte, ou qu’un mentaliste canalise à ses dépens
des informations envoyées par un au-delà, habité ou
non, tout ceci ne revient finalement qu’à une « lecture
du réel ». Mais comme le précise Gary Schwartz :
«
Il n’en demeure pas moins possible que les médiums se
soient servis d’une faculté super-psychique, par exemple
lire dans les pensées d’un proche à distance ou aller chercher
des informations disponibles dans le vide quantique. » Cela reviendrait à lire dans « un espace » une
mémoire, qu’elle soit portée par quelqu’un ou par un
champ quantique. Le physicien du CNRS Philippe
Guillemant apporte un éclairage pertinent en rajoutant
deux couches d’informations supplémentaires à
l’espace-temps – de trois dimensions vibratoires chacune : «
Notre conscience est dans la couche intermédiaire,
notre corps-cerveau est dans la première et notre
Soi, notre âme, est dans la troisième couche. Ces couches
sont interconnectées de telle manière que les couches inférieures
peuvent recevoir des informations des couches
supérieures, lorsqu’elles arrivent à s’extraire de leur conditionnement.
» Ainsi médiums, consultants ou autres,
nous serions capables de recevoir des informations, et
nous les traiterions différemment. Les uns consciemment
comme les médiums en entendant ou décryptant
avec leurs sensations, les autres avec l’intuition,
ou encore nous serions juste des transmetteurs sans le
savoir. Autant de pistes différentes dont il est difficile
de tirer une conclusion.
Quant à savoir s’il s’agit d’une communication avec
des êtres ayant survécu dans l’au-delà, ici aussi Philippe
Guillemant parle plutôt d’entités informationnelles.
Concernant les synchronicités, l’intuition ou
la voyance, il s’agirait de syntoniser des informations
sur des vibrations multidimensionnelles constituant
leur onde porteuse émotionnelle. «
Je doute que l’on
ait affaire à de vraies consciences qui auraient survécu,
mais plus probablement à des mémoires de leurs vécus
rassemblées dans une conscience collective – que certains
appellent l’astral –, des mémoires qui, du fait qu’on les
“vibre”, sont invitées. Je pense qu’il faut considérer la possibilité
des deux », conclut le scientifique.
Types de messages « banals »
On reproche souvent aux médiums de
délivrer des messages de type très général
aux vivants venus consulter. Marylène
Coulombe explique : « Si je vous dis que j’ai
un téléphone et que je peux vous mettre
en communication avec vos défunts, mais
pendant seulement deux minutes, vous
direz quoi ? Tout le monde aura les mêmes
messages : je l’aime, est-ce qu’il va bien ?
Est-ce qu’il m’entend ? Et pourquoi, pour
eux, ça ne serait pas pareil ? Les défunts
savent qu’ils ont peu de temps et d’énergie.
Les ponts ne sont pas aisés entre les deux
mondes, parce que si nous y avions accès plus
facilement, nous passerions notre temps à
communiquer avec eux et ce n’est pas le but
de l’incarnation. Même si des voies existent,
et qu’il semble qu’ils veuillent nous aider. »