Anticipation, uchronie, paradoxes, temps figé, dilaté, accéléré ou ralenti… la science-fiction a exploré toutes les façons possibles de (mal)traiter le temps, pour notre plus grand plaisir.
Temps et science-fiction ont partie liée depuis l’avènement du genre. Comme le souligne l’auteur Pierre Bordage : « En se projetant dans l’espace-temps, la SF permet la réflexion ». D’ailleurs, auteurs de science-fiction et scientifiques s’influencent selon lui mutuellement. Les premiers s’intéressent à la science parce que toute œuvre de SF doit naître, selon la formule de Pierre Versins, d’une « conjecture romanesque rationnelle ». Et les scientifiques peuvent pour leur part être amateurs de SF pour libérer leur réflexion. Le temps est l’un des terrains de jeu favori de la science-fiction parce qu’une grande partie des œuvres du genre consiste à imaginer, anticiper, un futur plus ou moins plausible, plus ou moins désirable, et plus ou moins proche. En 1964, l’écrivain Isaac Asimov imagine ce que sera le monde 50 ans plus tard, en 2014. La liste de ses pronostics publiée par le New York Times en 2013 est tellement juste qu’on peut se demander si l’écrivain était visionnaire ou si la science a suivi son « agenda » : vaisseaux sans équipage humain sur Mars ; robots présents mais peu performants ; satellites synchronisés pour téléphoner partout sur la planète ; écrans pour communiquer et consulter des documents…
Asimov a suivi des études scientifiques mais avant cela il a écrit à 17 ans sa première nouvelle de SF qui raconte, déjà, un voyage dans le futur (
Le tire-bouchon cosmique, 1937). Bien sûr, le célèbre roman de H.G. Wells,
La Machine à explorer le temps, avait créé le genre dès 1895. Pour les spécialistes de SF, ce roman est l’archétype du traitement d’un temps « spatialisé », c’est-à-dire que l’on peut parcourir comme une ligne, dans un sens ou dans l’autre. La « time machine » ne fait que s’affranchir de la flèche du temps. La notion de temps spatialisé est encore plus évidente avec Le Monde inverti, de Christopher Priest en 1974, qui s’ouvre sur ces mots : « J’avais atteint l’âge de mille kilomètres. »
La SF permet la réflexion
Cycle, relativité et paradoxe du grand-père
Mais bien d’autres types de transformation, de déformation et de paradoxes du temps ont été explorés par les auteurs de SF car, comme on peut le lire en introduction d’une étude savante sur la question : « D’une part les stratégies discursives et narratives de la science-fiction et du fantastique permettent d’explorer les diverses formes et les apories d’un temps insaisissable ; d’autre part la poétique du temps apparaît comme un élément de définition de ces genres. » (
L’Imaginaire du temps dans le fantastique et la science-fiction (2011), Vas-Deyres Natacha et Guillaud Lauric (dir.)) Par exemple, dès les années 1930, l’auteur et dramaturge britannique J.B. Priestley explore dans plusieurs pièces les idées de l’ingénieur et philosophe J.W Dunne à propos de rêves précognitifs et de « sérialisme », qui fascineront également André Breton et les surréalistes. Parmi les thèmes qui inspirent la SF, la conception d’un temps cyclique a été superbement traitée par le roman
2001, l’Odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke, à son tour magistralement adapté au cinéma par Stanley Kubrick. Le héros et dernier survivant de l’expédition se retrouve dans un temps non linéaire qui le voit assister à sa propre mort, puis sa résurrection sous forme de fœtus flottant dans l’espace. Le fameux monolithe fait lui-même le lien entre différentes époques et l’odyssée de l’espace devient odyssée du temps. Un autre mode de traitement du temps fascine par exemple dans
La Planète des singes (Pierre Boulle, 1963) ou
L’œuf du dragon (Robert Forward, 1980), c’est le temps relatif.
Le temps ne s’écoule pas à la même vitesse
Le temps ne s’écoule pas à la même vitesse sur Terre et dans l’espace, selon la vitesse de déplacement, et le héros de La Planète des singes revient sur terre 700 ans après son départ alors que, tel le jumeau de Langevin, il n’a vieilli que de 4 ans. Dans L’œuf du dragon, le temps s’écoule un million de fois plus vite sur une étoile lointaine où la vie se développe, et si les Terriens ont un premier contact avec des êtres primitifs, lors du second ils sont largement dépassés ! L’idée des paradoxes temporels a bien sûr été rendue populaire par les succès cinématographiques des
Terminator ou, dans un registre plus léger, des
Retour vers le futur. Mais René Barjavel l’avait exploré en 1944 dans
Le Voyageur imprudent, qui tue son ancêtre par erreur en voulant assassiner Bonaparte pour changer la face du monde. L’idée du romancier pour résoudre le « paradoxe du grand-père » – le héros n’existe pas puisque son ancêtre n’a pas de descendance, mais il existe bien puisqu’il l’a tué – sera en fait exposée quelques années plus tard dans un post-scriptum à l’édition de 1958 et reposera sur la notion d’univers parallèles.
Précognition, temps inversé…
Le cinéma a bien rendu également l’idée fascinante de communication entre deux époques distinctes avec par exemple le film
Entre deux rives, dans lequel deux personnages habitent la même maison à deux ans d’écart et communiquent par lettres. Un roman de SF,
La Machine lente du temps (Elisabeth Vonarburg, 1984) explore la même idée d’une histoire d’amour entre des mondes parallèles, qui communiquent par des sortes de portails réservés à des initiés. Par ailleurs, comment évoquer la SF et le temps sans mentionner le grand Philip K. Dick ? Bien sûr, la nouvelle
The Minority Report (1956) a fait l’objet d’une adaptation très réussie au cinéma par Steven Spielberg, et évoque notamment le rôle central de trois « precogs », des mutants capables de voir jusqu’à deux semaines dans le futur et prédire ainsi les crimes. Mais Dick a carrément inversé le cours du temps dans le roman
À rebrousse-temps (1967) en s’appuyant sur un pseudo-effet physique, l’effet Hobart, par lequel les morts reviennent à la vie et les vivants eux-mêmes retournent à « la matrice ».
L’idée fascinante de communication entre deux époques distinctes
Toute l’activité humaine consiste alors à défaire et oublier… Dans
Ubik (1969), plus connu, Philip K. Dick fait cette fois reculer certains personnages dans le passé sous l’effet d’aberrations temporelles. Ubik fut classé parmi les 100 meilleurs romans de SF en 2005 par le magazine…
Time ! La capacité à prédire le futur a été maintes fois utilisée dans la SF et un autre exemple célèbre est
Dune de Frank Herbert (1965), dans lequel la drogue « épice » augmente la durée de vie et permet de percevoir le temps non plus comme une durée mais comme une dimension fluide et mouvante. La notion d’uchronie, ou utopie dans le temps, est bien illustrée par le roman
Voyage, de Stephen Baxter (1996), qui imagine que la tentative d’assassinat du président Kennedy échoue. La face du monde en est changée et la conquête spatiale se développe, au point d’amener Natalie Wood sur Mars en 1986 ! Autre uchronie fascinante, celle dépeinte dans la BD
Watchmen, due au génial Alan Moore.
Au-delà des quelques titres évoqués ici, le cinéma nous a donné une foultitude d’œuvres qui s’appuient sur un temps bouleversé, d’
Un jour sans fin (1993) à
Mr Nobody (2009) ou
Interstellar (2014). Un thème réellement… intemporel.