Le monde est en train de changer. Et si l’altruisme, et les forces de l’esprit, étaient l’avenir ? Confidences intimes et surprenantes d’un homme au cœur de la vie intellectuelle, politique et économique française. Entretien exclusif à découvrir dans le magazine Inexploré n°14.
Selon vous, la crise que l’on traverse aujourd’hui a-t-elle seulement des ressorts économiques ?
Elle est en fait beaucoup plus profonde.
Crise, cela
veut dire : mouvement, changement, mutation. Nous
traversons une mutation extrêmement complexe,
celle de la généralisation du modèle occidental. Nous
ne sommes pas à la fin, mais au contraire dans l’universalisation
du modèle occidental. Quand l’empire
romain a disparu, une grande partie du monde était
devenue romaine. Les valeurs romaines étaient devenues
globales. C’est ce qui se passe avec l’occidentalisme
: tout le monde devient occidental alors que
l’Occident s’enfonce. La valeur majeure de l’Occident,
c’est la liberté individuelle. Et c’est justement
cette apologie extrême de la liberté individuelle qui
est la cause profonde de la crise actuelle.
Vivons-nous la crise d’une société fondée sur l’assouvissement de nos passions et de nos désirs de consommation ?
De nos désirs tout court. C’est le
« moi d’abord, maintenant,
tout de suite », et rien d’autre ne compte. C’est
cela qui fait la tragédie et en même temps la vertu
fascinante de la liberté individuelle. L’expansion de
ce système le fait triompher en détruisant des sociétés
antérieures, en faisant exploser les autres systèmes :
des sociétés religieuses, des sociétés archaïques, des
sociétés dictatoriales aussi – parce que la liberté individuelle,
c’est à la fois le marché et la démocratie, une
valeur à la fois positive et problématique. C’est ça qui
est en train d’exploser.
Les pays émergents, comme l’Inde, la Chine, sont aujourd’hui des puissances économiques colossales qui avancent vers l’accroissement de la consommation, de la richesse…
Bien sûr, c’est ce que je viens de dire : elles vont dans
la direction de l’expansion du modèle de la liberté
individuelle.
Et selon vous, ça mène à quoi ?
A l’occidentalisation de la planète. Avec (souvent
d’ailleurs en Occident), l’émergence d’une nouvelle
valeur qui est l’altruisme – que l’on voit apparaître
dans les ONG, dans les réflexions sur l’empathie, le
désir de s’occuper des autres, le bonheur que l’on
trouve dans le fait que les autres soient heureux,
toutes ces choses nouvelles qui à mon avis sont l’avenir.
Les réseaux sociaux, par exemple, sont à la fois
du narcissisme (je me montre dans les réseaux), et
témoignent aussi d’une volonté de communiquer, de
mettre en relation.
Voyez-vous plus d’avenir dans des systèmes valorisant la coopération que dans les systèmes actuels ?
La première vague d’avenir, c’est la généralisation
du marché et de la liberté individuelle. Cela conduira
à une contradiction, une explosion : écologique,
militaire… Parce que toutes les libertés individuelles
ne sont pas compatibles. En même temps, l’exacerbation
de la liberté, c’est l’exacerbation de désirs
impossibles à satisfaire : vivre éternellement, avoir
accès à tout… La liberté ça sera de plus en plus non
pas la liberté de choisir :
« ça OU ça » mais celle de
« je veux avoir ça ET ça ». Donc la polygamie, l’accumulation
d’objets à l’infini… toutes choses devant
être considérées comme moralement non répréhensibles
si on les décide comme telles – mais qui sont
impossibles. Vivre éternellement, avoir autant de partenaires
que l’on veut, à l’infini, sur une durée de vie
très longue, ça créera des contradictions. Accumuler
des objets en permanence, avoir non pas une voiture
mais plusieurs, juste pour pouvoir en changer tous
les jours, ça n’a pas de sens. Donc c’est en contradiction
avec la rareté des choses, et cette contradiction
va entraîner progressivement l’apparition d’un autre
modèle qui est celui de l’altruisme.
Pensez-vous que l’altruisme peut avoir une réelle application concrète, et collective ?
Cela existe déjà : les ONG sont fondées là-dessus, les
réseaux sociaux sont fondés là-dessus, beaucoup de
dimensions même très banales. Par exemple quand je
développe une sécurité sociale où je finance le soin
des autres, c’est parce que je pense que le fait que
les autres soient soignés est bon pour moi. Donc je
pense qu’il y a une transition qui va se faire entre
la liberté individuelle et l’altruisme, par ce que j’appelle
l’idée de l’altruisme rationnel, l’altruisme intéressé
: j’ai intérêt au bonheur des autres. Avant de
dire : j’éprouve du plaisir au bonheur des autres, je
trouve de l’intérêt au bonheur de l’autre. Le bonheur
de l’autre est conforme à l’expression de ma propre
liberté. J’ai intérêt à ce que les autres ne soient pas
malades, j’ai intérêt à ce que les autres ne soient pas
pauvres, j’ai intérêt à ce que les autres ne soient pas
révoltés. L’altruisme est rationnel. J’ai intérêt à être
altruiste. J’ai intérêt à ce que les autres soient bien
portants, sinon ils risquent de me rendre malade par
contagion. J’ai intérêt à ce que les autres ne soient
pas pauvres, sinon ils vont faire la révolution. J’ai
intérêt à ce que les autres sourient, parce que j’ai intérêt
à avoir des sourires autour de moi. J’ai intérêt à
ce que les autres soient heureux, parce que ce sont
mes clients... Un hôtelier par exemple, a un intérêt
rationnel à être altruiste, parce que sinon, les clients
ne viennent plus ! Dans une société qui devient de
plus en plus une société de services, l’altruisme est
vraiment nécessaire.
Au-delà de ces mouvements que vous pouvez observer, quel est votre sentiment sur le rôle de l’être humain et des évolutions qu’il est en train de vivre sur les prochaines décennies ?
Oh, une décennie ce n’est pas grand-chose, une
décennie ce n’est rien… mais progressivement on
assiste à la naissance d’un cerveau collectif, il y a
des technologies nouvelles, on assiste à la démultiplication
du progrès humain par les prothèses qui vont
changer beaucoup de choses, en particulier dans le
domaine des prothèses médicales liées à l’expansion
des moyens du cerveau, avec les limites de l’être
humain : d’abord la limite de l’espérance de vie, et
la capacité d’apprendre. Au fond, on a fait des progrès
sur des tas de choses, mais on n’apprend pas
mieux.
J’ai de bonnes raisons de croire à la présence des esprits
Votre journal s’appelle
Inexploré, c’est très
important d’explorer : on ne connaît rien des moyens
d’apprendre, des moyens de mise en mémoire, de
mise en relation – tout à l’heure je parlais de mise
en relation, de réseaux – et le cerveau c’est d’abord
la mise en relation de domaines improbablement
reliés. On ne connaît rien de cela, rien des processus...
Il faut toujours 2 200 heures pour apprendre une langue,
maternelle ou pas ; on ne connaît rien des processus
d’apprentissage et je pense qu’il y a là de grands
champs de progrès à faire.
Dans ces dimensions qui nous restent à découvrir, il y a une dimension qui est qualifiée de spirituelle et qui pourrait se rattacher à un fonctionnement plus large de l’être humain. Considérez-vous le spirituel comme important ?
Pour moi c’est évidemment très important : tout ce
qui est l’intuition, le non-dit… la musique est au coeur
de ma vie, et la musique est dans le non-dit, l’intuitif,
le subjectif, l’esprit. Je crois à l’univers de l’esprit.
Je crois à la transmission de pensée. Oui, je crois à la
transmission de pensée involontaire entre deux esprits
qui communiquent, parce que j’en ai eu très souvent
l’expérience. (...)