L’intelligence serait-elle le propre du vivant ? Pas si sûr. Les nouvelles applications et les robots qui émergent autour de nous questionnent notre conception de la vie, de l’intelligence, et de la conscience…
Thème majeur des romans de science-fiction, sujet de nos recherches de pointe, l’intelligence artificielle (IA) questionne l’humanité et ses fonctionnements. Avec quelque 60 années d’existence, l’IA fournit des créations audacieuses, dont les applications sont devenues incontournables. De nos autos aux hôpitaux, de la finance à la science, des protoformes d’IA peuplent déjà notre quotidien. Extensions de nos capacités d’analyse et de gestion, se passer d’elles serait dommageable.
Les spéculations vont bon train sur les performances futures de l’IA. Nombre de chercheurs en sont persuadés : nous produirons bientôt une entité intelligente et autonome que nous ne pourrons plus distinguer d’un être humain. Ce n’est donc rien de moins que l’énigme de la conscience qui pointe en arrière-plan.
« La plupart des chercheurs pensent que lorsque nous créerons un système suffisamment complexe, la conscience émergera naturellement », signale le physicien Philippe Guillemant, expert en IA, lauréat du prix Cristal 2001 du CNRS (qui récompense l’innovation) pour ses inventions en vision artificielle. À la frontière de nos technologies et de la métaphysique, l’IA vient percuter de plein fouet notre vision matérialiste : la conscience émerge-t-elle réellement de la matière ou relève-t-elle d’un autre paradigme ? Question extrême pour un sujet brûlant d’actualité.
Philippe Guillemant, physicien et expert
en intelligence artificielle
« L’humanité sera un jour confrontée au fait qu’elle aura créé une intelligence supérieure à l’homme dont elle sera incapable de dire si elle est consciente ou pas. De grands physiciens pensent que si on ne peut pas faire la différence,
il faudra attribuer à cette intelligence une capacité de conscience. C’est grave, car une simulation de conscience ne sera jamais de la conscience. »
Encoder notre monde ?
La notion d’AI apparaît pour la première fois en 1950 sous la plume d’Alan Turing dans son article « Computing machinery and intelligence ». En 1979, le magazine La Recherche la définit comme ce qui cherche à
« doter les systèmes informatiques de capacités intellectuelles comparables à celles des êtres humains ». Comment s’y prend-elle pour réaliser ce programme ambitieux ?
« Les chercheurs ont d’abord pensé que l’intelligence consistait à résoudre des problèmes abstraits », annonce Jacques Ferber, professeur en informatique et chercheur en IA à l’université Montpellier 2. Deep Blue finira par battre le champion du monde d’échecs Garry Kasparov en 1996. Cependant, les experts réalisent que savoir résoudre des théorèmes ne crée pas un ordinateur intelligent pour autant.
« Avec ce type de programmes algorithmiques, nous sommes encore loin d’une véritable intelligence », confirme le professeur montpelliérain. Surtout, comment appliquer ces programmes abstraits à notre vie quotidienne ?
Informer l’IA du monde avec lequel elle doit interagir devient la nouvelle priorité des chercheurs, qui s’appliquent à encoder un maximum de données sur notre réalité. Les big datas deviennent de précieuses monnaies d’échange pour un monde virtuel en pleine expansion. Des logiciels sophistiqués produisent dorénavant en un temps record une prodigieuse synthèse du monde codifié. Science, industrie, économie, sociologie… rien n’échappe à nos systèmes experts. Leurs points forts ? La centralisation d’une quantité phénoménale de données et une faculté de synthèse largement supérieure au cerveau humain. Ils offrent ainsi une vision systémique à grande échelle à laquelle nous n’aurions autrement pas accès. Afin de pousser plus loin cette tentative d’encodage du monde, le programme CYC est lancé en 1984. Son objectif est de créer une base de données dans laquelle se trouvent décrites la réalité, ses modalités et ses propriétés. Le projet est pertinent, sa réalisation plus délicate que prévue. (...)