Le 23 juin dernier, la psychopraticienne Marie-Lise Labonté était aux côtés du psychanalyste Guy Corneau pour une conférence dans le cadre du Festival de l’Extraordinaire, intitulée « Entre passion et union mystique ». Elle vient également de clore un cycle de conférences webinaires sur le sujet du « couple ». C’est l’occasion d’en apprendre davantage sur sa vision de ce qu’est l’aventure à deux.
Marie Lise Labonté a accepté de nous recevoir dans son pied-à-terre parisien. Touchée, à la fin des années 70, par une maladie incurable (l’arthrite rhumatoïde), elle a connu un grand processus de guérison basé, en partie, sur des mouvements psychocorporels (développés par Thérèse Bertherat). Mais pour arriver à une guérison physique, l’écrivaine québécoise a évidemment dû plonger dans les profondeurs d’elle-même. La force qui permet la guérison, Marie Lise Labonté la nomme Amour et ses écrits, nombreux depuis les années 80, ont toujours eu comme pilier cette vibration créatrice qui habite l’Homme. Cette année, elle s’intéresse à une notion qui ne peut pas nous laisser indifférent, tant elle irrigue nos vies : le couple. Entretien.
Au cours de sa vie, tout un chacun est amené à se forger sa propre idée du couple, par les expériences auxquels il fait face. Des balbutiements amoureux, suivis parfois de grandes histoires passionnelles, ou des déceptions constantes, des amours tièdes, des amours « jaunes » pour reprendre l’expression du poète Tristan Corbière. Qu’entendez-vous par le terme « couple » ?
Un couple, pour moi, ce sont deux personnes qui font le choix de s’engager, peu importe la forme que cela prend. Mais sans engagement, le couple n’est tout simplement pas possible. On peut être « en relation », « voir quelqu’un », etc. mais être réellement en couple, c’est décider de bâtir des choses ensemble, de construire, de faire un bout de chemin aux côtés de l’autre. Je pense que le couple est quelque chose de très formateur dans notre quête d’individuation, tel que l’entend le psychanalyste Carl Jung, c’est-à-dire notre rencontre avec nous-même, avec le Soi, avec la divinité intérieure, peu importe le nom qu’on lui donne. Je peux très bien être seul, puis avoir des relations, mais sans jamais me rencontrer. Or, se mettre en couple est une décision à prendre en conscience. Je choisis d’évoluer avec quelqu’un pour me rencontrer moi-même. C’est une vraie thérapie au quotidien.
Mais n’est-il donc pas préférable de tenter d’abord de se connaître soi-même, de travailler sur soi de son côté, avant d’entreprendre une relation de couple sérieuse ?
Travailler sur soi, c’est un chemin de vie, ce n’est pas une activité passagère qui cesserait dès lors que l’on penserait avoir atteint l’illumination, cet état que vivent les êtres éveillés. À proprement parler, le chemin n’a pas de fin. Souvent, évidemment, quand les jeunes adultes entrent dans une relation de couple, c’est pour plonger dans la répétition de ce que leurs parents leur ont enseigné ou bien pour se ruer dans le comportement opposé. Ce sont des essais, certains diront des « brouillons ».
Les jeunes gens se lancent dans une histoire de cœur, se blessent, puis se quittent. Quand on ne se connaît pas un minimum, on veut entrer en couple pour se sécuriser. Car le besoin d’être à deux est un besoin fondamental en nous, c’est comme instinctif. Regardez les animaux. On a besoin d’être à deux pour procréer, pour sécuriser un toit. Et cette recherche est magnifique mais peut nous perdre. Surtout les personnes qui ignorent essentiellement ce qu’elles font à deux. Elles se retrouvent désabusées, en souffrance. Par-delà le besoin fondamental, les ombres du couple se présentent et c’est à ce moment-là qu’il est important de se connaître. Certains vont tout faire pour éviter que cela n’arrive et pour ce faire, vont se maintenir en symbiose.
« Tout est beau, tout est bleu ». Même si leurs ombres sont à leurs portes et les observent depuis la fenêtre transparente de leurs âmes, ils vont fermer les yeux.
Ceux-ci sont des couples très pacifiques, certes, mais pas authentiques. Leurs blessures intérieures seront toujours présentes, même s’ils tentent par tous les moyens de les combler. Généralement, ces couples développent ce que j’appelle la maladie du couple. Ils construisent une troisième entité qu’ils appellent couple et se mettent à vivre pour lui, annihilant ainsi la personne humaine. Quand on demande, par exemple, à l’un des deux conjoints :
« Qu’as-tu pensé de ton voyage en Turquie », sa phrase débute toujours par
« On a… ». Un véritable couple est fait de respirations, de temps de pause. L’un part en voyage sans l’autre, sans que l’autre se sente menacé. Il y a une vie amenée par les deux partenaires pour quelque chose de plus grand.
Mais beaucoup de gens se focalisent exclusivement sur le moment que vous nommez dans votre livre Vers l’amour vrai, la « reconnaissance » ; cet instant de la rencontre avec celui ou celle qui va devenir notre amour, où tous les sens sont en éveil, où quelque chose de fort nous parle, nous crie même que c’est une évidence. Que diriez-vous à ceux qui ne jurent que par cette passion et ce romantisme et qui verraient, dans votre vision du couple, une perte certaine de magie ?
Ils sont dans un romantisme qui est magnifique, un idéal qui a été nourri par notre société et peut avoir été nourri (ou non) par des parents. Mais là encore, cela dure un temps et il y a danger de se perdre. Je connais, bien entendu, des personnes qui sont toujours romantiques entre elles, après des années de relation. Mais c’est parce que leur couple est sous-tendu par autre chose que le romantisme. D’ailleurs, leur histoire n’a pas été de tout repos. Ils se sont rencontrés, ils se sont quittés, ils se sont confrontés, puis se sont retrouvés. Leur romantisme tient davantage à leur propre nature qu’à quelque chose que l’autre leur apporterait. Le romantisme est une illusion si je pense qu’il va me rendre plus heureux. Il accompagne la vie, mais si je ne suis pas bien et que seule cette attente du romantisme me donne une raison d’exister, alors je me trouve dans la fuite de la réalité.
Le besoin d’être à deux est un besoin fondamental en nous.
Cette valeur du romantisme est très belle, mais si elle est mal placée à l’intérieur de nous, elle se vivra forcément mal. Je pense qu’il faut faire attention à l’illusion du couple. Penser que l’autre va nous sortir de notre ennui, va nous rendre plus heureux, plus joyeux et va apporter une plus-value à notre univers matériel, est une erreur. C’est magnifique, mais un couple, ce n’est pas juste cela.
« L’autre va m’aider à me réaliser ». Oui, c’est vrai, cela inspire, mais j’ai un chemin à faire seul et cela, souvent, les gens ne l’entendent pas. Ils plongent dans l’autre et s’oublient eux-mêmes. Tu ne peux pas te trouver dans l’autre. Tu te trouves dans toi. Je suggère fortement que les gens habitent bien leur maison (leur corps) et habitent aussi la maison du couple. Mais il faut avant tout que l’autre habite sa propre maison, sinon il sera envahisseur de la nôtre. Et là, la vie se complique…
Où va nous mener, selon vous, l’échec de plus en plus flagrant des couples et, plus généralement, de l’institution du mariage ?
J’espère vraiment que cet échec va mener vers une sortie des conditionnements sociaux sur le couple. Car nous sommes actuellement conditionnés pour être en couple d’une certaine façon. Nous, hommes et femmes, ne sommes pas suffisamment créateur de nouvelles façons de vivre le couple : être en couple et ne pas habiter ensemble, ne pas dormir dans la même chambre, vivre à trois, etc. Tout est possible. Pourquoi pas ? Qui nous oblige à vivre d’une certaine façon plutôt qu’une autre ? Différences d’âge, pourquoi pas ?
Ouvrons notre esprit, ouvrons notre cœur. L’amour c’est l’amour. On ne peut pas le faire entrer dans des formes, sinon c’est un amour conditionné. Pour moi, il y a UN amour, point. Je ne sépare ni amitié, ni amour. L’amour est. Arrêtons d’essayer de le définir. Comme le dit Khalil Gibran :
« l’amour suffit à l’amour ». C’est à nous de faire face à nos retranchements, nos conditionnements. Il faut accepter de laisser l’amour nous transformer. Mais si vous saviez combien les gens ont peur de l’amour…
Il faut faire attention à l’illusion du couple.
Quels conseils donneriez-vous pour sortir d’un amour conditionné ?
Chercher à se connaître soi-même, s’interroger :
« quels conditionnements ai-je reçu au sujet du couple ? Que m’a-t-on dit sur l’amour ? Comment m’a-t-on formaté à aimer ? », oser aimer différemment. Il est bon de faire ce chemin seul, mais dans le monde et non pas retiré sur sa montagne. Surtout, SORTIR DES NORMES, oser être hors-norme, différent, que ce soit dans une relation de couple, ou ailleurs. Un amour vrai est un amour libre. Il nécessite un travail sur les attachements, la dépendance. L’amour n’emprisonne pas, il donne ou rend leur liberté aux cœurs. Cependant, cela ne veut pas dire tout et n’importe quoi. Parfois, dans le cadre de mon travail de thérapeute, je demande aux couples s’ils ont une éthique, un cadre. Certes, on crée un lien, on le nourrit, mais dans quel cadre ? Je dis toujours
« vous n’avez pas assez de cadre ». Qu’est-ce qu’un cadre ? C’est dire
« moi, je choisis une relation exclusive » ou
« moi, je ne choisis pas une telle relation » et l’autre de répondre
« moi aussi » ou
« moi non plus ». Au bout d’un temps, l’autre peut changer d’avis, et alors il explique pourquoi. On appelle cela communication. Mais la plupart ne parle pas et prend cela pour acquis. Le cadre change donc sans que l’autre ne le sache. Arrêtons aussi d’avoir peur de notre partenaire, cessons de craindre de dire les choses :
« et s’il ne m’aimait plus... ». C’est une illusion. Si quelqu’un arrête d’un coup de vous aimer, c’est que ce n’était pas de l’amour.