L’un fut photographe portraitiste, l’autre, artiste et auteur. Le premier a réalisé des milliers de consultations thérapeutiques en état de transe, de 1901 à 1944, conseillant de façon extrêmement pertinente ses patients pour les mener à leurs guérisons. La seconde est à l’origine de 16 livres dictés intégralement sous transe, à partir de 1970, dont la riche matière littéraire fascine encore aujourd’hui des lecteurs à travers le monde. Pour ces deux personnes, des fondations officielles ont été créées aux États-Unis pour étudier et faire connaître leurs travaux. Edgar Cayce et Jane Roberts sont connus comme étant respectivement le père et la mère du channeling moderne. D’autres, à travers le monde et en France, ont suivi : le brésilien Chico Javier, l’américaine Ronna Herman, le peintre Augustin Lesage, la musicienne Rosemary Brown et bien sûr, Gitta Mallazs avec son
Dialogue avec l'Ange (1944). Phénomène multiple, tant au service de la création que de la diffusion de messages provenant d’un « ailleurs » encore inconnu, les channels ont l’oreille attentive et bienveillante d’une foule croissante. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Sont-ils si différents des médiums « classiques » ? Qui s’exprime à travers eux et dans quel but ?
Les channels, des porte-paroles de l’au-delà
Erik Pigani, spécialiste des phénomènes psi, fut aussi celui qui a importé en France le terme anglo-saxon de
channeling, avec son livre
Channels, les médiums du nouvel âge (1989). Il a ouvert la voie en France à ce phénomène bien étudié aux États-Unis. Pour lui, le channeling se définit ainsi : «
le channeling est un état de transe, ou un état méditatif dans lequel le médium dépasse sa conscience et son ego de façon à rencontrer d’autres consciences, ou des sources d’énergie extérieures pour les laisser s’introduire dans son corps. Il sert en fait de véhicule à l’expression de ces énergies. » Alain Moreau, dans son livre
Communications interdimensionnelles (2007) parle encore de communication par «
bandes de fréquences » : les channels seraient des «
interfaces entre les mondes physiques et spirituels ».
Car s’il y a un aspect fondamental dans le
channeling, et plus largement dans le contact avec l’au-delà, c’est la communication. Que cela soit pour obtenir des informations personnelles, se rassurer sur le bon devenir de nos proches désincarnés, demander conseil ou un enseignement spirituel, certaines personnes peuvent opter pour la recherche active de contacts, les plus directs possibles, avec l’invisible. Le
channeling, proposant une communication en « tête-à-tête interposées » avec des êtres spirituels semble ainsi être une solution envisageable.
Ce désir de communication avec l’au-delà peut également être exploré avec les médiums « traditionnels », tels que nous les considérons en France : une personne capable de communiquer avec les défunts par le biais de perceptions extra-sensorielles (clairaudience, clairvoyance, clairsentience), émanations d’un «
psi réceptif » tel que décrit par Erik Pigani dans le
Manuel Clinique des Expériences Extraordinaire (2009).
Toutefois, le
channeling semble pousser l’idée plus loin. Ici, il serait question de communication avec des énergies, cristallisées sous formes d’entités personnifiés (dit
channeling « classique ») ou non (
channeling « ouvert »). Dans les deux cas, la source semble provenir de plans de réalités autres qu’un vague « au-delà » habité seulement par des âmes humaines. Avec de telles idées, les perspectives s’ouvrent pour une nouvelle cartographie des mondes invisibles.
L’adombrement
Le mode opératoire du
channel diffère du médium par sa forte implication « physique » : ici, des parties du corps du
channel (sa gorge ou sa main, pour l’écriture automatique) sont utilisées par les énergies en présence. Quelle différence avec la possession ? Il y en a deux majeures : l’accord total du
channel pour vivre cette expérience, et la connotation positive du phénomène. Dans la littérature théosophique, Alice A. Bailey a défini ce processus dans son livre
Extériorisation de la hiérarchie (1957) : c’est l’adombrement. Le
channeling « adombré » (comme une « ombre » portée sur un individu, en superposition) est défini ainsi : «
processus par lequel un être spirituellement très avancé – le plus souvent un Maître de Sagesse – utilise le véhicule physique d'un disciple […] afin de transmettre des enseignements. La conscience du Maître pénètre temporairement les corps physique, émotionnel et mental du disciple et travaille par leur intermédiaire. L’adombrement est employé lorsque le Maître n’est pas lui-même en incarnation et qu’il souhaite toucher rapidement l'humanité ».
D’après les témoignages et les récits, il est classique lors d’un
channeling adombré que la voix, le ton, l’accent et la couleur des yeux du
channel puissent changer, reflétant la personnalité de l’énergie incorporée. Jane Roberts, qui canalisait Seth ou «
l’essence de l’énergie d’une personnalité » (comme Seth se décrivait lui-même), expliquait dans
La réalité Inconnue (Tome 1, Mama éditions, 2019) ce qu’elle ressentait lors de ces moments : «
L’état de transe se caractérise par une impression d’énergie inépuisable, de plénitude émotionnelle et de liberté subjective. Par moments, la voix de Seth est forte et très puissante. Même en transe, je m’en rends compte, et je suis emportée dans son énergie. Dans les premières années de ma médiumnité, la voix et l’accent de Seth me semblaient très étranges, que ce soit en m’entendant parler pour lui pendant les sessions ou en écoutant les enregistrements. »
Edgar Cayce, quant à lui, « s’endormait » par suggestion hypnotique, pour consulter des annales akashiques ou laisser parler diverses entités lors de ses « lectures ». Ces dernières, qu’il pouvait faire à de très grandes distances, étaient d’une précision inégalée à l’époque. Avec officiellement 14 256 lectures dactylographiées (consultables à la Edgar Cayce’s Association A.R.E), les « patients » repartaient avec une lecture complète de leur thème astrologique, de leurs vies antérieures, des enjeux karmiques de leur incarnation et d’un diagnostic précis de leurs corps subtils et physique. Et pour finir, une prescription mêlant régime alimentaire sur mesure, exercices physiques adaptés et protocoles thérapeutiques naturels et inédits pour l’époque (thalassothérapie, musicothérapie, ostéopathie…). Les traitements, s’ils étaient appliqués à la lettre, réussissaient à 90% du temps. Une véritable médecine holistique avant l’heure, qui a su impressionner ses contemporains, comme en témoigne son titre «
d’homme miraculeux » octroyé par un article du New York Times en 1910 (Erik Pigani et Dorothée Koechlin de Bizemont,
Channels, les voix de l’au-delà, 2003).
De la psychopathologie à la parapsychologie
Les hallucinations auditives, la schizophrénie et le dédoublement de personnalité sont les premières explications médicales auxquelles on peut penser pour expliquer le phénomène du channeling. Le linguiste Arthur Hastings, dans With the tongues of men and angels (1991), présente aussi l'hypothèse des subpersonnalities (sous-personnalités) théorisées par Robert Assagioli en 1965. Toutefois, on sait aujourd'hui grâce aux travaux du CIRCEE (Centre d’Information, de Recherche et de Consultation sur les Expériences Exceptionnelles) que de nombreux individus de par le monde entendent des voix sans que cela ne leur pose problème, à l'inverse de la schizophrénie où les voix sont agressives et envahissantes. En France, l'association REV-France fondée en 2001, a fait évoluer les considérations des professionnels face à ces individus, rapporte Renaud Evrard, dans Folie et Paranormal, vers une clinique des expériences extraordinaires (2014), docteur en psychologie et co-fondateur du CIRCEE. Une donnée intéressante émerge de cette étude et permettrait de faire le lien entre parapsychologie et psychopathologie : la transliminalité (trans : franchir, limen : le seuil). Ce terme, théorisé par Michael Thalbourne, indique chez certains individus une grande perméabilité psychique entre les frontières de l’inconscient et du conscient. Ces expériences dites « liminales » pourraient ainsi expliquer le vécu des médiums et channels, plus sensibles aux informations usuellement perçues uniquement par l’inconscient, qu’elles proviennent d’agents externes (télépathie) ou internes (guidance intérieure ou d’un autre plan de réalité).
Dialoguer avec des anges, Jésus et Marie
«
Nous croulons littéralement sous une tonne de “révélations” personnelles, des milliers d’individus recevant, chaque année, des messages ou des “canalisations”, déclare Alain Moreau dans son livre.
Ceci, loin d’être une mode passagère, constitue en réalité une lame de fond orchestrée par les royaumes supérieurs afin de sensibiliser un maximum de personnes aux réalités spirituelles ». Le channeling semble ainsi toucher un grand nombre de personnes et apporter un matériel spirituel nouveau pour nourrir notre réflexion et notre quête spirituelle.
Une source riche et abordant de nombreux sujets, car les interlocuteurs du monde invisible sont nombreux, et chacun a son « thème de prédilection » à transmettre à l’humanité. D’après certains channels comme Sylvain Didelot (qui canalise depuis 2002 et n’a pas hésité à passer plusieurs examens psychologiques pour attester de sa bonne santé mentale !) on peut recenser la canalisation du Soi Supérieur (la part de nous-même la plus proche du Divin), des guides, des anges, des archanges, des maîtres ascensionnés et des émanations de personnages divins (Jésus, Marie, Bouddha, Mahomet, pour n’en citer que quelques-uns). Pour Hélène Myran, c’est un regroupement d’énergies relevant de la Source nommés « Les Hé-veilleurs » et qui s’exprime à travers elle. Ian Borts, un channel canadien très réputé, aujourd’hui décédé, présentait de nombreuses similitudes avec Edgar Cayce. Mais pour lui, l’identité de « ses voix » était connue :
The Speakers (Ceux qui parlent), qui se présentaient comme étant «
76 000 points de lumières, ou de conscience » existants dans une autre réalité. (Erik Pigani,
Channels, les voix de l’au-delà, 2003).
Qu’en disent les entités elles-mêmes ? À travers la
channel Ronna Herman, l’archange Saint-Michel s’exprimait ainsi : «
Une foule d’individus déclarent, sans même y réfléchir, que la vérité infaillible réside dans l’information transmise depuis les deux mille dernières années par les sages, les devins et les prophètes qui, eux, l’ont reçue de messagers angéliques, de Dieu, du Créateur […] ou d’autres êtres nobles mais invisibles. Par ailleurs ils ridiculisent, jugent néfaste, impensable, ou rejettent l’information disponible depuis les dernières décennies et transmise à l’humanité à partir des royaumes supérieurs pour l’aider en cette ère de transition et d’évolution accélérées. Où est donc la différence ? » (Ronna Herman,
Votre quêtre sacrée, ed. Ariane, 2004).
Entre ciel et terre
Oracles antiques, prophètes des grands religions monothéistes, chamans… le phénomène du channeling semble être récurrent à travers le temps et les différentes cultures. L’humain serait-il fait pour communiquer avec l’invisible ? Barbara Ann Brennan, qui a un temps travaillé à la NASA comme chercheur en physique atmosphérique, est devenue guérisseuse-magnétiseuse et psychothérapeute. Pour elle, une interaction avec le monde invisible serait possible grâce à la structure énergétique de nos corps subtils et de nos chakras. Ces différents éléments interconnectés et liés vibreraient sur plusieurs plans vibratoires, du plus « basique », le corps physique, au plus élevée, le corps kétérique (
Le pouvoir bénéfique des mains, 2009).
Dorothée Koechlin de Bizemont, médium et spécialiste française d’Edgar Cayce, la rejoint en apportant quelques nuances : «
Il faut savoir que le canal physique, c’est l’ensemble du système glandulaire, la série des glandes endocrines qui se situent à l’endroit où les Indiens décrivaient des chakras, c’est-à-dire le thymus, les surrénales, la pinéale, l’hypothalamus, les gonades, la thyroïde, l’hypophyse. Ces glandes sont le siège d’un tourbillon vibratoire qui relie les trois corps : physique, mental et spirituel. Lorsqu’un médium entre en transe, et que soit le type de transe, le taux vibratoire de ce système glandulaire s’élève. » (dans
Channels, les voix de l’au-delà channeling, et plus largement de la médiumnité, qui serait alors un exercice de « traduction » de ces énergies subtiles en messages concrets, du ciel à la terre...
Des esprits créatifs
Les entités qui utilisent le biais du channeling semble avoir plusieurs buts : aider, conseiller, inspirer l’humanité. Si la plupart des messages sont spirituels, des créations extraordinaires peuvent également voir le jour. En littérature, on peut recenser les œuvres Jerusalem et Milton de William Blake, ainsi que celles de Pearl Curran, qui a retranscris des poèmes dictés par l'esprit de la poétesse Patience Worth.
Parfois, ce sont des compositions musicales, telles qu’a retranscris la compositeur Rosemary Brown, sous dictée des esprits de Liszt, Chopin, Beethoven et bien d’autres.