Rêver, consteller et canaliser bouscule notre conception du réel. En arrière-plan, une interrogation métaphysique : à quel « monde » se connecte-t-on ? Plus largement, peut-on choisir, dans nos vies, la fréquence sur laquelle nous nous branchons ?
«
Quelque chose en moi a atteint l’endroit où le monde
respire », poétisait le philosophe soufi Kabir. Aux
confins des cultures et des disciplines, l’Âme du
monde inspire et intrigue depuis l’aube de l’humanité
– de l’antique sagesse grecque à la tradition
arabo-musulmane, jusqu’à la psyché de Carl Gustav
Jung. «
L’Âme du monde, qui est notre intériorité
la plus vaste, nous ouvre les chemins de traverse du
grand univers », souligne le philosophe Mohammed
Taleb dans Éloge de l’Âme du monde. Cheminons,
de l’étoffe des rêves à la magie des constellations.
Une vie de rêve
Où nos rêves nous emmènent-ils ? La question
donne le vertige. Alors que «
le mental ment monumentalement
» (dixit Prévert), le rêve, pure intelligence
qui échappe au tamis du mental et des
conditionnements, nous connecte avec l’infini
des possibles.
Rêves prémonitoires, rêves lucides et
autres songes partagés se jouent du temps, de l’espace
et des limitations de notre véhicule-corps. Une surréalité qui nous fait entrer en résonance avec un
(in)conscient collectif. «
Dans les modèles oniromythiques
– biblique, antique, mais aussi traditionnel –,
le monde d’où surgissent les rêves est invisible, surnaturel
et extérieur au dormeur. Soit l’âme du rêveur rend
visite à un être surnaturel, soit c’est ce dernier qui lui
rend visite », partage le somnologue et psychologue
Roland Pec. Depuis, le rêve a subi un désenchantement,
davantage associé de nos jours à la neurophysiologie
du sommeil qu’aux mondes qu’il nous
ouvre.
Si l’imagerie neurofonctionnelle semble être
devenue la nouvelle « frontière » des chercheurs de
rêves, elle ne révèle néanmoins pas le « pays des
rêves » ! «
Il est encore loin le temps où nous serons en
mesure de filmer le rêve d’un dormeur. Tant mieux, car
l’intimité se verrait offerte en pâture. Une intimité à
ce point intime qu’elle échappe souvent à la conscience
du rêveur lui-même », soutient Roland Pec.
Cette posture de pont entre les mondes qu’occupe le rêve,
en mesure d’élargir notre conscience, se retrouve
aussi dans le channeling, où les médiums sont des
messagers entre l’incarnation et le subtil. Un monde
subtil, à la portée de tous. «
L’être incarné est un
germe ayant pour source la lumière universelle. Ainsi,
dans la graine originelle, tout est déjà présent – tout
votre être est déjà manifesté, il n’y a qu’à le déployer.
La graine porte la fibre universelle, la connaissance de
l’Univers, la conscience », témoigne Pierre Lessard,
qui canalise Maître Saint-Germain pour (nous) permettre de manifester « le maître
en soi ». L’enjeu, là, est de retrouver la conscience
de nos pouvoirs innés, «
lesquels sont extraordinaires
pour ceux qui ne les ont pas reconnus, mais naturels
pour ceux qui savent reconnaître qu’ils sont une expression
de l’univers entier ».
Sous influence de nos fantômes
Les approches transgénérationnelles (psychogénéalogie,
constellations familiales) témoignent de
manière « extraordinaire » de cette connexion à des
« archives » qui dépassent notre personne. L’être
humain baigne, en effet, dans un co-conscient et
un co-inconscient familial et collectif, comme l’a
découvert Moreno, l’inventeur du psychodrame et
pilier de la psychogénéalogie.
Avant lui, Sigmund
Freud avait déjà évoqué, dans
Totem et tabou, le
principe d’une âme collective, pour tenter d’expliquer
une transmission de l’inconscient d’une personne
à celui d’une autre. Mais c’est Carl Gustav
Jung qui a réellement ouvert la voie d’une approche
transgénérationnelle en théorisant l’inconscient collectif.
Si l’on se réfère à la technique systémique
des constellations, initiée par Bert Hellinger, tout
système – famille, organisation, entreprise – est un
champ de force vivant, traversé d’interactions, de
péripéties, d’énergie en mouvement. «
L’équilibre
d’un système vivant est une danse », précise Éric Laudière,
thérapeute formé par Alexandro Jodorowsky
et instigateur de constellations originales (dans le
noir, multiconstellations, etc.), pour mettre en
lumière la « farce cosmique » de nos arbres généalogiques.
Partant du principe que l’information est
partout, comme le montre la physique quantique,
la constellation permet d’extérioriser les jougs
invisibles qui nous enchaînent dans la matrice de
l’inconscient familial. «
Nous sommes moins libres
que nous le croyons, mais nous avons la possibilité
de conquérir notre liberté et de sortir du destin
familial répétitif de notre histoire en comprenant les
liens complexes qui se sont tissés dans notre famille,
et en éclairant les drames secrets, les non-dits et deuils
inachevés », postulait Anne Ancelin Schützenberger,
figure phare de la psychogénéalogie. Une fois
conscients de ces scénarios qui tournent en boucle,
il est possible de changer « d’orbite ». «
Nous portons
des loyautés inconscientes qui nous empêchent d’être
sur le chemin de notre âme et à notre juste place. Les
constellations permettent de mettre en mots les émotions
et ressentis qui n’ont pas eu la chance d’être exprimés
dans le système familial. Cela permet à chacun
(mort ou vivant) d’assumer la charge des responsabilités
qui lui incombent et de réintégrer sa place par la
mise en lumière des événements que l’on croit oubliés et
des implications cachées », analyse Catherine Hudovernik,
praticienne et formatrice en constellations.
Nous ne voyons pas
le monde tel qu’il est, mais
tel que nous sommes. - Le Talmud
Guerre et paix
Ce phénomène de transmission invisible dépasse les
liens de sang. «
Pour donner une explication rationnelle
à ce qui semble ne pas l’être, on peut recourir à la
théorie des champs morphiques de Rupert Sheldrake.
Chaque chose existante sur Terre laisserait de petites
traces énergétiques dans l’univers matriciel dans lequel
nous évoluons. Dans cette idée, toute famille, même
recomposée, est un champ d’énergie où des résonances
se créent », constate Élisabeth Horowitz, thérapeute
spécialisée dans l’analyse transgénérationnelle.
Même en partant d’une problématique personnelle,
consteller, c’est donc s’éveiller à la dimension invisible
d’un groupe ou d’une personne. «
Cette mise
en représentation a un pouvoir indéniable de guérison
sur les participants et même sur des personnes non présentes
lors de la constellation. Le groupe, “champ qui
sait” (dixit Bert Hellinger), génère une délivrance des
systèmes individuels et collectifs que sont les familles, les
communautés, voire les pays », relève Marie-Thérèse
Bal-Craquin, qui propose un chemin initiatique de
transformation via les constellations. J’ai moi-même
vécu une incroyable constellation où le groupe a été
amené à « rejouer » la Seconde Guerre mondiale,
mettant en représentation des belligérants et des
alliés. Dans ce champ d’énergie, il n’y avait plus
d’ennemis, seuls des êtres humains pris dans les
filets de la même galère. Nous l’avons « ressenti »
avec beaucoup d’émotion. Cela a eu du sens : pour
la protagoniste qui avait demandé cette constellation
afin de mettre en lumière une ombre familiale,
pour le groupe… et certainement bien au-delà ! (...)