Un désir d’accomplissement

« Que faisons-nous de la vie ? », questionne le père Maurice Zundel. « On n’a pas le temps, la vie passe si vite, on est occupé par les soucis matériels et par les divertissements... Et finalement la mort arrive, et c’est devant la mort que l’on prend conscience que la vie aurait pu être quelque chose d’immense, de prodigieux, de créateur. Mais c’est trop tard... Et la vie ne prend son relief que dans l’immense regret d’une chose inaccomplie. » Dans l’ombre portée de la mort, les moments qui restent offrent pourtant l’occasion d’une forme de réconciliation avec la plénitude de la vie. C’est une idée qui ne nous est pas familière. Dans notre société, nous considérons la mort comme une dérive. Mais l’être humain qui pressent sa fin prochaine est animé d’un désir d’aller au bout de lui-même, un désir d’accomplissement. « Le temps du mourir a une valeur », il a un sens, même si ce sens nous échappe.

Durant ce cheminement, on retrouve les états d’âme décrits par le docteur Elisabeth Kübler-Ross : le déni ou la dénégation, la révolte, le marchandage – « J’accepte de mourir, mais pas tout de suite, laissez-moi vivre jusqu’à la naissance de mon petit-fils » –, la tristesse, cette dernière préludant à un lâcher-prise qui débouche sur l’acceptation, de guerre lasse. Dans la réalité, cette évolution n’est pas si nette. J’ai le souvenir d’une femme dont l’attitude d’acceptation totale masquait en fait une tentative de maîtrise et un refoulement de la colère et du désespoir qui l’envahissaient. Elle connut par la suite un grand état de douleur physique et psychique.

Bio express
Psychologue, psychothérapeute et écrivaine, Marie de Hennezel a travaillé pendant dix ans dans la première unité de soins palliatifs en France. C’est l’expérience acquise dans ce service qu’elle relate dans La mort intime (1995), préfacé par François Mitterrand, quelques mois avant sa mort.

L’importance de l’acceptation et du lâcher-prise

Lorsque le lâcher-prise est réel, il peut arriver que la personne aille beaucoup mieux, comme si sa sérénité lui apportait un regain de vitalité. Ce fut le cas pour une autre femme, une étrangère que j’ai connue en unité de soins palliatifs. Elle avait compris qu’elle ne pouvait pas guérir et qu’elle avait peu de temps à vivre. Elle avait téléphoné à tout le monde dans son pays d’origine pour dire au revoir, et elle avait réglé toutes ses affaires. Elle a alors commencé à aller mieux, au point qu’elle est sortie de l’hôpital pour y revenir six mois plus tard. Je la revois encore, élégante, quittant le service en manteau de fourrure et talons hauts. Sa rémission reste incompréhensible au plan médical. D’autres au contraire vont mourir très vite. J’emploie souvent l’image d’une petite bougie qui s’éteint pour évoquer le moment de la mort. Parce que beaucoup de gens meurent sans donner l’impression de souffrir. (...)