Les cas de rémanence ou de regain de conscience en phase de coma interrogent de plus en plus la science. Ils devraient aussi inciter les professionnels de santé à changer d’attitude envers les comateux. Quels besoins ? Quelles implications ?
Santé corps-esprit
« Travailler dans un service de réanimation est très particulier. Surtout la nuit, quand la frénésie de la journée laisse place au grand calme. On a souvent l’impression que quelque chose nous effleure les cheveux. On dit alors en rigolant : tiens, ils doivent se balader ! » Christelle Dubois est aide-soignante. A moult reprises, elle a perçu auprès de comateux la présence d’une âme.
Depuis quelques années, les cas ne relèvent plus du simple ressenti. Des gens sortent du coma avec des témoignages précis. Et les médecins, grâce à des examens de plus en plus pointus, parviennent à identifier une activité cérébrale consciente chez des gens qu’on considérait comme complètement absents. Comment l’expliquer ? Là-dessus, la science n’est pas encore fixée… Mais du point de vue clinique, l’urgence de changer d’attitude envers les comateux est déjà là.
Sur le plan thérapeutique, d’abord, en leur accordant le droit de bénéficier du meilleur diagnostic et du meilleur suivi, avec constance et patience. « Le milieu médical baisse souvent la garde au pire moment, commente Steven Laureys, directeur du Coma Science Group – une unité de point rattachée au CHU de Liège. Quand le patient commence à montrer des signes de conscience, il est déjà sorti du circuit hospitalier. » Et si sa famille dit avoir observé un changement, il n’est pas rare qu’on lui réplique : « impossible, il est végétatif »…
« Les études sur la neuro-plasticité, telle que décrite par le psychiatre Normal Doidge dans Les étonnants pouvoirs de transformation du cerveau, ouvrent des perspectives. Elles montrent que l’esprit – par la volonté, l’imagination, le dialogue thérapeutique ou autre – est capable de transformer le cerveau, dans sa structure même », indique la psychosociologue Danielle Vermeulen, investie sur ces questions depuis vingt ans.
Présence et respect
D’où la nécessité « d’écouter, être présent, vigilant. Respecter la personne, ne pas se jeter sur elle pour lui faire un soin possiblement douloureux sans lui demander sa permission, même si c’est symbolique », plaide Danielle Vermeulen. « Intuitivement, je leur tiens la main, je leur parle, je leur explique ce qu’on va leur faire, même si les médecins me disent que ça ne sert à rien ! » confie Christelle Dubois.
Pour Danielle Vermeulen, il faudrait former le personnel investi auprès des comateux « comme celui des soins palliatifs ». Le sensibiliser à ces périodes frontières où l’être vacille, où il peut faire l’expérience d’une mort imminente, où il faut savoir percevoir ce qu’il ressent, trouver les mots, les gestes, ou juste être là, bienveillant. Leur apporter du confort, aussi : veiller à leur équilibre nutritionnel, prévenir la déformation de leurs membres, éviter qu’ils souffrent physiquement… Et les entourer moralement.
Vecteur clé : l’amour. Que le patient se sente entouré, soutenu, et motivé pour revenir. « Je me souviens d’une jeune maman, victime d’un œdème cérébral catastrophique, raconte l’anesthésiste-réanimateur Jean-Jacques Charbonier. On prolongeait sa réanimation au-delà du raisonnable pour permettre à sa famille de se préparer au deuil. Mais alors qu’on avait pris la décision de cesser les soins, contre toute attente, elle est revenue. » Pour élever son petit bout, dira-t-elle plus tard au médecin.
« L’important, c’est de trouver le moteur qui va pousser la personne à faire fonctionner son cerveau et créer de nouvelles connexions », estime Danielle Vermeulen. La psychosociologue dit ainsi être entrée en communication avec un jeune homme que les médecins – « sans examen approfondi de son cas » – avaient l’intention de débrancher : « J’ai détecté qu’il pouvait bouger le gros orteil. A la fin de notre premier entretien, il était parvenu, seul, à détendre sa main. Depuis, ses progrès sont énormes, poussés par son envie d’être actif dans son rétablissement. »
Moment suspendu
Sans pour autant se voiler la face. Les réveils après plusieurs années de coma restent rarissimes. « Quand le coma initial a été provoqué par un traumatisme crânien, on estime qu’il n’y a plus d’espoir de voir le malade revenir à lui après un an en état végétatif, indique Steven Laureys. Si le coma est dû à une anoxie (après un arrêt cardiaque, par exemple), ce délai tombe à trois mois. »
Et tous les comateux ne souhaitent pas revenir. Comme ce SDF de trente ans reçu en grave hypothermie par le Dr Charbonier : « Il suffisait simplement de le réchauffer et de le réhydrater, mais il est parti. Si on considère l’homme comme un véhicule terrestre habité par un esprit, quand le véhicule est bon pour la casse, ou qu’on est fatigué de rouler, les choses sont simples : soit on le garde, soit on s’en sépare. »
D’autres semblent aussi s’accrocher, en attente d’un signe pour s’en aller : la visite d’un enfant qui habite loin, l’expression d’un pardon, l’acceptation de son décès prochain par sa famille… « La communication compte, constate le Dr Charbonier. On savait que c’était le cas en soins palliatifs, où les gens sont conscients, mais ça arrive aussi avec des comas. »
Rester là ? Lâcher prise ? L’idéal serait de pouvoir suivre le choix du patient. Respecter son refus de l’acharnement, s’il l’a exprimé en amont de son accident. Ou pourquoi pas, lui poser la question, sereinement, clairement, pour espérer une réponse de conscience à conscience… ou plus directe. « Je me souviens d’une femme qui avait fait un coma diabétique au volant, livre Danielle Vermeulen. Lorsque son fils lui a demandé “Veux-tu t’en aller ? Nous aurons beaucoup de chagrin, mais nous le comprendrons”, elle a ouvert les yeux puis est partie. »
Cette capacité à mettre une âme derrière un corps inerte, et à lui témoigner de l’attention, n’envoie pas juste de bonnes ondes au patient. Elle est aussi précieuse pour ses proches. « Bousculés par un événement soudain, impressionnés par l’appareillage thérapeutique, envahis par un énorme sentiment d’impuissance, ces derniers ne savent pas comment se comporter. Ils n’osent souvent pas parler à leur malade, alors que ça pourrait tellement aider », note Danielle Vermeulen.
Cela pourrait aussi améliorer le quotidien du personnel soignant. « Travailler avec des comateux est difficile, témoigne Christelle Dubois. On affronte la détresse, l’injustice. Pourquoi ces mères de famille, ces enfants de dix ans ? On est aussi confronté au silence, à un climat pesant. Personnellement, j’ai puisé dans cet environnement une source d’enrichissement », similaire à celle dont témoigne la plupart des personnes qui reviennent d’une expérience aux frontières de la mort.
Pourquoi la traverse-t-on ? Pourquoi s’en sort-on ? Un temps suspendu de réflexion sur la vie, la manière dont on l’aborde, et ce que l’on en fait.
À
propos
auteur
Réjane d' Espirac
Autrice et réalisatrice
Réjane d'Espirac collabore à Inexploré par la rédaction de reportages, de récits, d'entretiens, et la réalisation de documentaires. ...
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