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André
Malraux,
Alexandre
le
Grand
et
la
médium

Ecrivain, homme politique, aventurier, André Malraux est une figure de la Vᵉ république. Dans son livre Hôtes de passage, on découvre son intérêt pour un sujet singulier : la médiumnité.
André Malraux, Alexandre le Grand et la médium
Au-delà
L’histoire commence dans les premiers jours de l’année 1952 – six ans avant que Malraux, proche du général de Gaulle, ne devienne son ministre des Affaires culturelles – lorsqu’un courrier en provenance d’Iran parvient à son ami Georges Salles, directeur des musées de France. Il contient la photo d’une étoffe. La lettre vient de Souleyman Aaron, doyen des antiquaires d’Ispahan, et de son neveu Saïdi.

La missive est adressée à Georges Salles car l’antiquaire perse juge que le Louvre pourrait acquérir cette étoffe ancienne. Elle se trouve pour l’heure à Bagdad, mais un mystère entoure son origine. Georges Salles montre la photo à Malraux, qui raconte : « Les dimensions de l’image sont celles d’une carte postale ; celles de l’original, indiquées au dos, celles d’une serviette. » Sur l’étoffe, on distingue une tache noire déchirée, avec « des ailes d’oiseau fantôme ». Elle évoque un blason. Mais à quel style le relier ? Antérieur à l’Islam ? Sassanide ? Georges Salles et lui sont frappés par la symétrie de la figure, on dirait un papillon. Une chose est certaine : l’étoffe est très ancienne : « La photo a fait le tour des départements du Louvre ; tous les conservateurs ont échoué à l’identifier, tous ont confirmé l’originalité. Mais comment proposer au Conseil l’acquisition d’une pièce non identifiée ? » Confronté à ce dilemme, Georges Salles suggère à son ami d’aller consulter une célèbre médium de l’époque, madame Khodari-pacha.

Les deux amis se rendent chez la voyante. Georges Salles est un familier, elle l’a déjà aidé à plusieurs reprises. En plus de la photo, le directeur des musées de France a obtenu de Souleyman quelques fragments du précieux tissu. Après s’être assis, « Georges Salles lui tend la photo et les lanières d’étoffe, […] Elle regarde le feu mollement et fixement, pose la photo sur la table basse et les mains sur la photo, et la parcourt des ongles de la main droite. Dans la gauche fermée, elle froisse les lanières ». Le dialogue s’engage alors entre la voyante et des deux hommes.
– Tiens ! ce n’est pas du tout en soie. C’est épais. Rugueux. C’est l’étoffe que je tiens ; le dessin n’est pas un tissage. Ce n’est pas… un motif. Pas un dessin du tout. L’étoffe a été autrefois pliée en deux ! Ce qui l’a teinte n’est pas une couleur.
– Pourtant la vraie tache n’est pas noire, dit Georges Salles. Sur la photo seulement.
– Ce n’est pas une couleur : c’est du sang.

Les deux hommes réalisent qu’à cause de la symétrie, personne n’avait pensé à une tache. Georges Salles invite progressivement madame Khodari-pacha à chercher l’origine de cette étoffe. La médium est en transe légère, ce qui permet un échange conscient entre elle est les deux hommes, bien qu’elle semble dans un état second. Les phrases de la médium se suivent avec lenteur, hésitation : « C’est très loin… Très loin dans l’espace… au moins l’Orient… Et c’est un temps très ancien. […] Il y a un champ de bataille, la nuit. On s’est battu. Un roi qui cherche parmi les morts. Derrière des porteurs de lanternes. […] Arrive la pluie, du ciel noir. Tous les jours… Elle cesse… De l’autre côté du fleuve, des feux partout… […] Il y a des blancs sur les chevaux, et des hommes de couleur sur… sur quoi ? D’énormes animaux que je ne connais pas, multicolores… des animaux disparus ?... […] L’homme que je… vois est un chef des Blancs… Rasé. Ses cheveux clairs mangent son front. […] Quand il descend de cheval, il marche très vite… Ha ! Les animaux vont charger, ils lèvent la trompe… Ce sont… je vois mieux maintenant… des éléphants peints… Tiens, il y en a qui sont dorés ! »
Sans que ni Georges Salles, ni André Malraux n’interviennent, la médium livre ses visions. Elles semblent s’attacher à un homme, un roi, dont des fragments de l’histoire surgissent dans son esprit, de manière apparemment aléatoire. « L’homme va mourir, mais plus tard… […] L’homme est en face d’un autre, dit-elle, monté sur un des éléphants peints… […] L’homme s’en va vers le désert… Pourtant c’est lui qui a gagné la bataille… Maintenant, c’est le soir, et tout le fleuve est gardé par des éléphants. (.) Il y a beaucoup de combats… contre des villes fortes sur des petits monts, devant des montagnes. »
La médium continue de parler par courtes phrases. Elle mentionne un ami que l’homme a tué ; des montagnes bleues ; la tête d’un cheval soutenue par le fer d’une lance ; une fête réunissant « tous les chefs » dont les casques sont coiffés de feuilles ; des gens dans de longs chariots bâchés : « Des tapis pendent. Dedans, des hommes, dix, quinze… […] Gesticulent, chantent. Des grands gestes au-dessus des roues… Tiens ! Ils sont ivres ! […] Il hurle en chantant… Pourtant c’est un homme très triste… »
– Distinguez-vous le visage de l’homme ? demande Georges Salles.
– Maintenant oui.
– Comment sont ses yeux ?
– Tiens, tiens ! un bleu, un noir !

Malraux écrit : « Les yeux d’Alexandre de Macédoine. Georges Salles me regarde en silence. » Pour ces deux hommes, passionnés d’art et d’histoire, les détails forts nombreux fournis par la médium évoquent en effet instantanément plusieurs épisodes important de la vie d’Alexandre le Grand : sa confrontation avec le roi Porus en Inde, la victoire qui se conclue pourtant par la décision du retour, le meurtre de Kleitos, etc. Malraux confie même que si madame Khodari-pacha avait lu, la veille, une Histoire d’Alexandre, elle n’eut pu être plus précise.

Les deux compères quittent l’atelier l’esprit troublé. Que faire de tout cela ? Il apparaît bien vite que les informations fournis par la médium ne pourront, cette fois-ci, être d’une grande utilité à Georges Salles. Il lui faut en effet présenter des éléments suffisamment convaincants au Conseil pour qu’il décide de débloquer les fonds nécessaires à l’acquisition de cette étoffe. Le mystère demeure entier, faute de pouvoir effectuer un certain nombre d’analyses. Et la somme est rondelette.

Au delà de l’anecdote, ce qui est frappant ici est de découvrir sous la plume de Malraux que le recours à des médiums, – que le directeur des musées appellent « pythonisses » – était manifestement une habitude du personnage. Georges Salles avait travaillé, dans le cadre de ses fonctions à la tête des musées de France, avec les chercheurs de l’époque, et notamment le docteur Osty, un temps président de l’Institut de Métapsychie. Cet intérêt pour les études psychiques est partagé par Malraux.
Cependant, Georges Salles ne compte pas en rester là. Malraux raconte que quelques mois plus tard « il convainc un de “nos mécènes” d’acheter l’étoffe pour son propre compte. Curieux de l’analyse (il veut emporter la pièce au laboratoire) j’écris avec lui à Souleyman. » Les deux hommes apprennent par retour du courrier que l’étoffe, « tenue pour sassanide, a été vendue à un nommé Morris. » Après un nouvel échange de correspondances, André Malraux nous apprend finalement que « Georges Salles vient de recevoir une lettre de M. Morris, à qui Souleyman a signalé (pas fou !) l’intérêt que le Louvre prenait à son acquisition. M. Morris a fait analyser la tache : c’est du sang. »

Les extraits sont tirés du recueil Hôtes de passage,écrit par André Malraux, Editions Gallimard, 1975.
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