De l’allégorie de la caverne à Matrix, l’idée d’une réalité plus fondamentale dont notre
monde serait une « projection » alimente des réflexions de pointe en philosophie,
neurosciences ou physique. Parmi celles-ci, la proposition la plus ébouriffante est peut-être
que notre monde serait le fruit d’une simulation.
Perceptions
AJ Pics/Alamy Banque d’images
Nous savons que certains animaux perçoivent les infrasons et d’autres les ultrasons, que certains sont sensibles aux rayonnements infrarouges et d’autres aux ultraviolets. Il en va de même pour les odeurs et d’autres signaux. Notre appareil sensoriel d’être humain ne nous permet pas de capter toute une gamme de stimuli, et pourtant nous avons l’impression de percevoir le monde « tel qu’il est ». Cette conviction intuitive est largement mise à mal par moult travaux de neurosciences et de physique qui montrent que notre perception du monde est une reconstruction, une sorte de projection nécessairement partielle et incomplète de ce qui se trouve vraiment là.
Certains chercheurs comme le philosophe Sam Harris ou le neuroscientifique Anil Seth nous affirment en outre que « le sentiment même de soi » est une construction imaginaire, une abstraction utile. Donald Hoffman, psychologue neurocognitiviste, a montré, grâce à des… simulations informatiques, que l’évolution des espèces avait favorisé une forme de « masquage » de la réalité à des fins de survie et d’adaptation. Selon lui, la réalité que nous percevons est comme un écran d’ordinateur sur lequel se trouvent de nombreuses « icônes » : les objets animés ou non qui habitent cette réalité et dont la connaissance nous est utile. Nous savons que nos icônes à l’écran ne sont pas les fichiers ou dossiers auxquels elles renvoient, mais n’en sont qu’une représentation simplifiée, car leur réalité fondamentale est une suite de 0 et de 1 dont le sens nous échapperait si nous devions les percevoir tels qu’ils sont.
Le bug du « déjà-vu »
Tout cela est aujourd’hui bien compris, même s’il reste difficile de nous en convaincre dans notre expérience quotidienne et ordinaire du monde. Mais cette réflexion amène en réalité beaucoup plus loin, et de nombreux chercheurs dans différentes disciplines ne se privent pas d’envisager que notre monde pourrait fort bien être le fruit d’une simulation. Loin d’être triviale, cette idée a de nombreuses implications et est étayée par des arguments solides à la fois en philosophie, en neurosciences et en physique. Le film Matrix l’a bien sûr popularisée en s’appuyant sur la fameuse
« allégorie de la caverne » de Platon et sur l’imaginaire de science-fiction déjà exploré par d’illustres pionniers. Ainsi, Philip K. Dick déclarait dans une intervention publique lors de la convention de science-fiction de Metz, dès 1977 : « Nous vivons dans une réalité qui a été créée par un programme informatique, et le seul indice que nous ayons pour nous en convaincre est lorsqu’une variable est changée et qu’une modification de notre réalité se produit. Nous aurions alors l’impression écrasante de revivre le présent ; des “déjà-vu”… » Matrix a repris l’idée du déjà-vu comme manifestation d’un « bug » dans la matrice, mais si le film illustre brillamment l’idée que notre monde serait simulé depuis une réalité plus fondamentale, il ne dit rien de la nature de cette dernière. De fait, on s’engage ici sur la voie d’une régression à l’infini dont on peut se demander si elle a le moindre sens, et le moindre intérêt, car si l’Univers est simulé depuis une autre réalité, on peut se poser la question de savoir si cette dernière est également simulée depuis une réalité encore plus fondamentale, etc.
Un monde mathématisé
Un premier argument en faveur d’une réalité simulée provient de ce que le physicien Eugene Wigner a appelé « la déraisonnable efficacité des mathématiques » en 1960, à savoir le fait que les mathématiques sont tellement utiles pour formuler les lois de la nature qu’il semblerait qu’elles constituent le langage même de celle-ci. Dans une vision platonicienne, les mathématiques sont un continent que les chercheurs
« découvrent » au fil des progrès, et non un outil qu’ils « inventent ». Or, de même que les ordinateurs permettent aujourd’hui de simuler des réalités dites
« virtuelles » de plus en plus réalistes, la réalité quadridimensionnelle dans laquelle nous sommes plongés pourrait en effet relever du même processus. En prolongeant les progrès technologiques, nous pouvons imaginer devenir capables de créer une simulation que des agents conscients plongés à l’intérieur prendraient pour la seule et unique réalité. Aujourd’hui, les simulations informatiques ne sont pas seulement utilisées dans les jeux vidéo, mais aussi dans la recherche pour simuler certains aspects du monde, depuis le niveau subatomique jusqu’au-delà des galaxies.
Pour le physicien Max Tegmark, il faut s’attendre à ce que l’Univers puisse être décrit par des lois mathématiques si les lois de la physique sont fondées sur un algorithme informatique. Mais cet argument apparaît circulaire, car si une super-intelligence conduisait des simulations de son propre monde, elle en ferait reposer les lois physiques sur les mêmes lois que son propre Univers, comme nous le faisons nous-mêmes. Dans ce cas, les lois de notre monde seraient mathématiques, non pas parce qu’elles sont issues d’un programme informatique, mais parce que le « vrai » monde fonctionne également ainsi. (...)
Jocelin Morisson est journaliste scientifique, auteur et traducteur, passionné par les liens entre science et spiritualité. Il collabore à l’Inrees et au magazine Inexploré, et a signé plusieurs ouvrages dont trois dans la collection Enquêtes Extraordinaires dirigée par Stéphane Allix aux éditions de La Martinière : Intuition et 6e sens ; La Voyance ; L’expérience de mort imminente.
Il est également l’auteur d’un essai, L’Ultime Convergence, co-auteur avec Philippe Guillemant de La Physique de ...
À
retrouver
dans
Inexploré n°60
Nos illusions
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