Notre société peut-elle fonctionner selon un modèle économique radicalement différent ? Dans L'économie symbiotique, l'auteure Isabelle Delannoy expose une synthèse de nombreuses techniques et recherches en faveur de cette théorie. Entre permaculture, nouvelles monnaies et économie circulaire, son ouvrage apporte un éclairage précieux sur ces questions. Découvrez dans cet extrait les six principes de l'économie symbiotique, inspirée du vivant et de la nature.
Art de vivre
Nancy Bourque
Métamorphose de l’économie
Cette nouvelle économie est radicalement différente de l’actuelle. Elle peut être décrite par six principes (que j’appellerai dans cet ouvrage les « principes symbiotiques ») qui sont à l’origine des plus-values produites par ces nouveaux modèles. Ils reposent sur :
– une collaboration libre et direct entre entités ;
– une diversité d’acteurs et de ressources qui respectent l’intégrité de chaque entité ;
– des territoires de flux communs accessibles à tous de façon égale ; ce sont des territoires matériels où se circulent les ressources, mais aussi immatériels où se croisent les intérêts et les valeurs ;
– l’utilisation prioritaire des services rendus par les écosystèmes ;
– la recherche de l’efficience maximale dans l’utilisation des ressources, qu’elles soient de la matière, de l’énergie, ou de l’information ;
– la recherche de l’inscription des activités humaines dans les grands cycles de la planète préservant son équilibre écologique global.
Nous les retrouvons dans la conduite des écosystèmes vivants, des écosystèmes industriels et des écosystèmes sociaux. Ils s’appliquent à la production, à la consommation et aux modes de gouvernance y compris de redistribution de la valeur. Ils forment une nouvelle logique économique.
Lorsque ces six principes sont respectés dans l’ensemble de ces dimensions alors les ressources entrent en symbiose. Pourquoi parler de symbiose ? Parce que je vais montrer que ces différentes grandes logiques, structurées de la même façon, sont compatibles comme les rouages d’une horloge : elles s’agrègent et entrent en complémentarité. Les ressources produites par les unes correspondent aux besoins des autres. Elles forment une symbiose entre la technicité du vivant et sa beauté, la puissance de la conception et de l’organisation humaines, et l’efficience de sa technique : chacune nourrit l’autre et réciproquement. Les éléments dans la marmite ne diffèrent pas du système actuel. C’est la façon de les associer qui change. Comme le papillon et les chenilles sont à la fois un seul et même individu, et des expressions différentes de ce qui le compose, cette nouvelle structure économique porte en elle la possibilité d’une civilisation radicalement nouvelle, issu de la métamorphose en son sein de l’actuelle.
L’économie symbiotique n’est encore qu’une hypothèse. Je n’ai encore vu nulle part l’ensemble de ces logiques assemblées. Mais là où certaines le sont, les synergies prévues s’expriment. L’économie symbiotique manque de chiffres pour être validée. La principale raison et qu’elle n’a pas les indicateurs adaptés à sa logique : dans le système actuel, la seule régénération que l’on mesure est la régénération financière. Sur le plan écologique, sur le plan social, et sur le plan économique des parties prenantes avec lesquelles une organisation travail, on mesure au mieux la diminution des impacts. Que l’activité économique, parce qu’elle produit, puisse être facteur de régénération de ses ressources est hors de portée de la vision d’une économie basée sur l’extraction des ressources depuis des millénaires.
Nous allons dans cet ouvrage découvrir les systèmes économiques et productifs qui répondent à ces principes et les multiples acteurs qui les appliquent. Dans cette exploration, mon objectif est de construire une réflexion, de bâtir une pensée et d’amener les lecteurs et les lectrices à vivre une expérience. Nous voyagerons à toutes les échelles, de celle de la bactérie ou du composant électronique à celles de territoires entiers. À mesure, nous verrons une économie complète se dessiner. De nouvelles dynamiques de prospérité émergeront. Pour les décrire, je suivrai constamment quatre axes : la gestion des ressources, les modes de développement, les échanges économiques et les nouvelles formes d’organisation de la cité qu’elles sous-tendent. J’essaierai toujours dans ce périple d’exposer les dangers, les frontières dépassées, les bénéfices, les limites et les possibilités telles que je les perçois.
Dans la première partie, je décrirais comment cette économie est une économie de l’information et pourquoi c’est l’origine de son efficience.
Puis, page après page nous allons exposer comment cette structure formée par les principes symbiotiques dessine un nouveau visage pour nos sociétés. Nous l’appliquerons aux ressources vivantes, techniques, puis sociales. Nous verrons enfin quelle économie complète elle déploie en détaillant les mécanismes synergiques qui se produisent lorsque le tout est assemblé. Nous allons percevoir quel développement nouveau elle donne à des ressources que nous avons pourtant partout autour de nous et portée de main.
Lorsqu’elle s’applique à la gestion des ressources écologiques, cette logique révolutionne nos paysages, nos villes et toutes les industries au cœur de la fabrique du métabolisme humain : l’agriculture, l’habitat, la gestion de l’eau, la santé… L’architecture se mêle aux jardins ; le roseau, l’iris et la fraise à l’urbain. Ce sera la deuxième partie de l’ouvrage.
Lorsqu’elle s’applique à l’énergie et à la matière, cette logique conduit à des écosystèmes industriels où les objets sont réutilisables, réparable, recyclables. Ils libèrent la créativité humaine et refont, des centres urbains et des bourgs industriels ruraux, les nouvelles places de la production. Cela formera notre troisième partie.
Lorsque cette logique s’applique à la gestion des rapports sociaux, les relations hiérarchiques et pyramidales s’effondrent. Avec l’émergence d’Internet, la diffusion de l’information, des savoirs et des expériences devient de plus en plus horizontale et de moins en moins distillée du haut d’une hiérarchie, qu’elle soit économique, politique, médiatique, intellectuelle ou familiale. Les acteurs économiques, qu’ils soient producteurs, consommateurs ou décideurs, entrent de plus en plus en coopération pour concevoir, produire, échanger, consommer, financier, gouverner dans une multitude d’interrelations. Ils forment des réseaux et aboutissent à la formation de Communs, industriels, entrepreneuriaux, sociaux, à l’échelle locale comme à l’échelle mondiale. Mais, lorsque l’application des principes symbiotiques n’inclut pas la gouvernance, ils peuvent se révéler dangereux à long terme et devenir prédateurs de leurs contributeurs. Nous explorerons l’ensemble dans l’application du système logique aux écosystèmes humain, qui formera notre quatrième partie : le « phénomène humain ».
Étudiés sous ce regard unifié, ces nouveaux modèles modifient profondément notre vision de ce qui est productif, efficace, et de ce qu’est le bien-être humain. Ils ouvrent les voix d’une nouvelle prospérité ou l’humanité peut développer une économie globalement régénérative, capable de produire davantage de ressources qu’elle n’en consomme. Cette maximisation des impacts positifs devient le cœur de la productivité et de la rentabilité. Elle repose sur les règles très précises qui induisent des dynamiques que l’on peut décrire de façon systématique dans leurs grandes relations et synergies. Nous nous y emploierons dans notre cinquième partie, réalisant la synthèse « synergie d’une synchronicité réalisée ». Les apports de la théorie générale des systèmes permettent d’en extrapoler le fonctionnement et de dessiner le visage global d’une économie symbiotique mondialisée en centrant notre application sur les industries les plus consommatrices de ressources rares, l’industrie du numérique et celle des énergies renouvelables. Nous mettrons alors en regard les propositions de l’économie symbiotique et les énoncés des penseurs fondateurs de la décroissance, tel Nicholas Georgescu-Roegen ou les époux Meadows.
Enfin, nous nous projetterons dans une ville en 2025, qui aurait entamé sa transformation aujourd’hui. Dans cette partie sous forme épistolaire, « Je vous écris de ma ville symbiotique », plus cinématographique et visuelle, nous plongerons dans la vie quotidienne que proposerait une économie symbiotique et comprendrons les mécanismes de son développement.
Une nouvelle vision de l’humain ?
Ces travaux ont renouvelé ma conception profonde de l’être humain et de sa place dans l’univers. Nous avons une vision très négative de l’homme vis-à-vis du vivant : l’idée que nous devons choisir entre notre développement et celui de la nature est profondément ancrée. Il s’agit donc au mieux de faire « le moins de mal possible ». L’économie symbiotique apporte une vision positive de l’espèce humaine et de son rôle dans la biosphère.
Une phrase est devenue célèbre dans les milieux écologistes : « une croissance infinie est impossible dans un monde fini ». Une boutade lui est généralement associée : « ce qu’il croit sont des fous des économistes. » Elles n’ont, je pense, pas lieu d’être.
Ces paroles témoignent d’une vision du vivant comme un stock inerte. Or depuis 3,5 milliards d’années que la photosynthèse est apparue sur la Terre, le vivant n’a cessé de nous prouver le contraire : il a transformé une planète aride et nue en terre bruyante d’activités croissantes, produisant de façon continue de la matière utile en abondance, la stockant même dans ses roches et dans ses sols. Car le système Terre n’est fini ni en termes d’apport d’énergie, le Soleil, ni en termes d’intelligence. Seule la matière est en stock fini sur la planète. L’intelligence émergeant du système vivant ne cesse au contraire de croître à mesure qu’il se développe et se complexifie. Il s’agit de voir le vivant comme un système dynamique et l’espèce humaine comme l’une de ses composantes intrinsèques, qui l’enrichit de ses capacités propres d’observation, de conceptualisation et d’organisation. Ces paroles appartiennent à ceux qui restent dans la vision d’une économie extractive, qu’elle soit « décroissante », « verte » ou du « durable ».
L’étendue des désastres nous fait voir la puissance d’organisation humaine sous son angle essentiellement destructeur. Mais elle peut aussi être créatrice de diversité, accélératrice de vie. Elle peut faire émerger en quelques mois des écosystèmes qui, sans elle, auraient mis des années, voire des siècles à se former. En comprenant les interactions à l’origine de l’efficacité de ces architectures vivantes, elle les rend plus productives qu’elles ne le seraient dans leur état naturel : l’humain maille, rassemble. Il joue un rôle de catalyseur. Les catalyseurs ont le pouvoir de rapprocher des éléments qui, sans eux, auraient mis un temps infini à se rencontrer. Ils sont à la base des réactions chimiques au sein de la cellule qui produisent la vie, sa croissance et son infinie diversité. Ils accélèrent ainsi les réactions d’un facteur 10, 100, 1 000, voir davantage. L’humain prend un autre rôle dans le vivant. Il n’observe plus la nature « pour mieux la soumettre », pour en devenir « maître et possesseur », comme l’exprimaient Francis bacon et René Descartes, pères du rationalisme occidental moderne, mais pour en comprendre et respecter les équilibres afin de favoriser son développement et sa croissance.
Ainsi, en urbanisme, nous savons désormais réguler le microclimat et isoler les immeubles en végétalisant les toits, filtrer les eaux en installant des écosystèmes de zones humides au pied des habitations et créer une haute disponibilité alimentaire sur des surfaces très petites. Quelles espèces peut, sur un carré de moins de 100 mètres sur 100, établir des écosystèmes de steppe sur les toits, de zones humides et de forêts-jardins à ses pieds et des habitats humains entre les deux ? Il n’y a probablement que l’arbre pour rassembler en un si petit espace une si grande richesse. Quelles que soit les latitudes sous lesquelles nous vivons, la ville-oasis est à notre portée.
En croyant que nous ne pouvons assurer nos besoins qu’en exploitant la matière, nous avons tourné notre intelligence et notre puissance technique vers l’extraction. Nous pensons quantité, masse, forces. En comprenant que nous pouvons devenir symbiotes de notre planète, notre génie se déplace. Nous pensons informations, liens, synergies.
Jamais notre imaginaire n’a été nourri de la possibilité que ce qui est beau puisse être efficace, que ce qui est doux puisse être puissant.
C’est par ces nourritures terrestres que nous allons commencer.
Isabelle Delannoy, Régénérer la planète, l’économie et la société, éd. Actes Sud, 2017, p.31 à 37.
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