Michel Roquette est un ancien champion de France de gymnastique. Il s’entraînait quinze à dix-sept heures par jour, quand un accident lui massacra les deux genoux. Impossible de rejoindre les Pompiers de Paris, comme il en rêvait. Il se met à grossir, jusqu’à dépasser les 120 kilos. Quand l’hypnothérapeute Carole Jehan lui propose son aide, il n’y croit pas mais essaie, car il sait qu’il va au-devant de graves soucis de santé. Au sortir de la première séance, il est dégoûté : «
J’avais l’impression d’être resté très éveillé, témoigne-t-il.
Je me suis dit que c’était de la foutaise. » De retour à l’hôtel, il se jette sur le buffet. La nuit est difficile. Le lendemain, au petit déjeuner, il se sert copieusement en confitures et viennoiseries. Mais «
impossible d’avaler quoi que ce soit de sucré », se souvient-il. À midi, au lieu de son habituel plat en sauce avec frites, il se surprend à commander du poisson et des légumes, puis à gratter le caramel de son carpaccio d’ananas. «
C’est comme si je me réveillais d’un long sommeil », dit-il. Il poursuit l’hypnose ; au bout de neuf mois, il a fondu de 45 kilos. Son poids se stabilise, ses analyses de sang, sa tension artérielle et ses pulsations cardiaques reviennent à la normale. Et ses relations aux autres changent du tout au tout : fini le « bon gros gentil », il réaffirme sa personnalité, relève des défis professionnels et note les nouveaux égards dont il fait l’objet.
L’histoire est symptomatique : notre alimentation est au cœur de notre être, et pas seulement du point de vue physiologique. Elle est en lien avec nos états d’âme. Soyez amoureux, et plus rien ne vous nourrira que cet élan. Subissez un stress, et vous vous jetterez sur le chocolat. Convoquez un autre état de conscience, comme en hypnose, et vous reviendrez à une alimentation adaptée à vos besoins véritables. Modifiez votre alimentation, et votre caractère changera, ainsi que votre résonance dans le monde… «
Le corps et l’esprit ne sont pas des entités séparées , rappelle le maître de yoga Swami Satyananda.
La forme brute de l’esprit, c’est le corps, et la forme subtile du corps, c’est l’esprit. » Souvent, nous mangeons par habitude, par pulsion ou par consolation. Ou parce qu’on nous a dit : «
C’est ça qu’il faut faire ». À la une des magazines, les conseils en nutrition se suivent et ne se ressemblent pas. Comment savoir s’il est bon pour nous de manger cru ? De ne consommer que de la viande et des légumes ? Ou pas de viande du tout ? Faut-il manger des fruits, beaucoup, en jus ou pas du tout ? De quoi envier ceux qui ne se nourrissent que de lumière ! Et encore, celle-ci aurait des qualités différentes d’un environnement à l’autre…
Notre alimentation est au cœur de notre être, et pas seulement du point de vue physiologique.
Saveurs et humeurs
La première prise de conscience est de réaliser que le choix de nos aliments ainsi que l’attention que nous portons à leur origine, à leur qualité et à la façon de les cuisiner, témoignent de ce que nous sommes – et de ce que nous voulons pour le monde.
Réciproquement, les aliments dont nous nous nourrissons influent non seulement sur notre métabolisme, mais aussi sur notre énergie vitale et notre être tout entier. Tout est lié : en médecine traditionnelle chinoise, on considère que les saveurs sont corrélées à nos organes et à nos humeurs. «
Il en existe cinq : l’acide, l’amer, le doux, le piquant et le salé, explique Martine Fallon, formatrice en cuisine énergétique.
Jouer dessus permet de réguler l’énergie d’un organe. L’acide, par exemple, est lié au foie et à la vésicule biliaire. »
Dans l’approche chinoise, les émotions inappropriées atteignent nos organes – occasionnant crises hépatiques, migraines et autres ballonnements. Et les organes projettent leurs toxines sur le visage : «
Des cernes sous les yeux, par exemple, c’est le rein », indique Martine Fallon. Et le rein, « dans son déséquilibre », c’est la peur et le renoncement… Intégrer chaque jour, de manière équilibrée, les cinq saveurs dans notre assiette « chouchoutera » nos organes, qui nous « chouchouteront » à leur tour en nous transportant « dans des humeurs merveilleuses qui nous rendront puissants, concentrés, responsables, entreprenants, intelligents et drôles, en plus d’être jeunes, minces et beaux ! », s’amuse Martine Fallon. «
Il ne faut pas oublier que les intestins sont pleins de neurotransmetteurs, molécules essentielles pour que les neurones communiquent entre eux, ajoute-t-elle.
Impossible d’avoir bon moral face à l’inconnu, face à nos projets, face à l’autre et face à une situation déstabilisante, si notre alimentation est déséquilibrée. » Martine Fallon l’a vécu : après un grave accident qui la défigura et la condamna à « sept mois de femme serre, une paille fichée entre des mâchoires cadenassées », la découverte de la diététique énergétique l’aida à revenir à la vie : fini « le manque d’élan, les anciennes peurs et l’impasse d’une histoire sans cesse décousue, cherchant en permanence dans le regard de l’autre le droit d’exister », elle se mit avec cette nouvelle cuisine à « dessiner des promesses inédites et des désirs libérés, et à y puiser la force de les faire aboutir ».
Car la médecine traditionnelle chinoise postule également que l’énergie qui nous habite dépend largement de celle de nos aliments. Pas du point de vue calorique, mais vibratoire : comme nous, les aliments sont dotés d’une force vitale, impactée par ce qu’ils traversent. Un fruit ou légume local, bio et de saison, cueilli à maturité «
et consommé rapidement, en respectant des modes de préparation et de cuisson doux », sera gorgé de vitalité et nous permettra de « rayonner », indique Martine Fallon.
Une pizza surgelée, fabriquée industriellement avec des légumes génétiquement modifiés sera, elle, trop dénaturée pour nous apporter la moindre énergie, et pourra même nous déprimer.
Maigrir par le yoga
Selon les études menées au Fred Hutchinson Cancer Research Center de Seattle, le yoga fait maigrir, même dans sa forme la plus douce. Ce n’est ni pour des raisons de consommation calorique ni de stimulation métabolique, mais de conscience : « En favorisant l’écoute du corps, le ressenti des besoins réels et la maîtrise de soi, le yoga permet de moins suivre ses impulsions et de moins utiliser la nourriture pour soulager un stress », indique Christian Möllenhoff, fondateur de l’École de yoga et méditation Paris. Diplômée de la Harvard Medical School, le Dr Sara Gottefried souligne aussi que la pratique du yoga et de la méditation, en réduisant le taux de cortisol dans le corps, modifie la façon dont s’y stockent les graisses. Enfin, certains exercices de respiration, en influençant le système nerveux et en boostant le métabolisme, aident à perdre du poids.
Affûter sa sensibilité
Lors des retraites qu’il organise, Christian Möllenhoff, fondateur de l’École de yoga et méditation Paris, propose une alimentation végétarienne, préparée exclusivement à partir de produits frais, biologiques, locaux, de saison et non transformés.
Des légumes, des légumineuses, «
du riz complet plutôt que du riz blanc », illustre-t-il. Des plats préparés sur le moment, sans friture ou mode de cuisson trop lourds à digérer. «
Le but est d’affûter la sensibilité, mais aussi de ne pas surcharger le corps, précise-t-il. Les textes fondateurs du yoga parlent peu de ce qu’il faut manger ; ils disent surtout qu’il ne faut pas trop manger – en gardant par exemple un tiers de l’estomac vide pour la pratique. » À la fin des années 1980, des scientifiques allemands ont suivi, plusieurs années de suite, les participants d’une retraite de yoga et de méditation de trois mois, organisée par l’enseignant Swami Janakanda. «
Au final, ils ont été très prudents sur les bénéfices du yoga, explique Christian Mollenhöff,
mais pour eux il était clair que ce type d’alimentation, appelée sattvique dans la tradition indienne, contribuait à la santé. » Est-ce à dire qu’il ne faudrait manger qu’ainsi ? La praticienne et formatrice en ayurvéda Armanda Dos Santos est plus prudente. «
Le yoga est une discipline, destinée à atteindre un état de samādhi, c’est-à-dire d’accomplissement de l’être dans l’union et la contemplation », expose-telle. Cette discipline passe par des exercices et une alimentation spécifiques. «
Plus quelqu’un va se nourrir de manière sattvique, plus son esprit sera calme, bienveillant et dans l’amour inconditionnel », convient-elle.
Mais dans la vision ayurvédique, chaque individu est particulier, doté d’une énergie propre et influencé en permanence par son environnement. L’alimentation la plus juste pour lui devra donc tenir compte de sa constitution énergétique, mais aussi de son âge, de son lieu de vie, de son activité professionnelle… Nous sommes cycliques et multidimensionnels. Notre organisme ne nécessite pas les mêmes choses au réveil, à midi et le soir. Idem selon les saisons : en hiver, nous aurons besoin «
de légumes racines et de plats chauds, gras et lourds, pour nous enraciner face au froid et au vent », souligne Armanda Dos Santos. En été, ce sera différent ! De même, «
si vous travaillez dans une ambiance hypercompétitive, où vous devez prendre des décisions rapidement », une nourriture purement sattvique pourra ne pas convenir : «
Vous aurez besoin d’excitants, comme le gingembre, pour soutenir votre vigilance et votre esprit critique », indique-t-elle. Même un méditant, pour se réancrer, aura besoin d’une nourriture non sattvique ! Il n’y a donc «
ni bien ni mal », assume la praticienne ayurvédique, mais simplement la «
compréhension profonde » de qui nous sommes, de comment nous fonctionnons et quels sont nos besoins, au gré des circonstances et de ce que nous vivons. «
Bien se nourrir demande ce discernement sur soi, et l’agilité de s’y adapter, confirme-t-elle.
Les énergies dansent en nous ; il ne s’agit pas d’essayer de les contrôler, mais d’être le plus possible en harmonie avec leur mouvement. »
Avec quelle intention et quelle attention abordons-nous un repas ?
Tout est nourriture
D’autant qu’en ayurvéda, tout est nourriture : les mets que nous mettons dans nos assiettes, mais aussi les gens qui nous entourent, les lieux que nous fréquentons, les pensées et les émotions qui nous habitent, les activités que nous pratiquons, ce que nous lisons, ce que nous voyons à la télévision, les liens que nous tissons avec le vivant…
«
Avec quelle intention et quelle attention abordons-nous un repas ? interroge aussi la praticienne en diététique ayurvédique Lynne Fihey.
C’est aussi important que les aliments eux-mêmes. La tradition indienne conseille de manger dans un cadre calme, et jamais sous le coup d’une émotion forte, car le corps est occupé à la digérer. Il ne peut pas tout faire à la fois. »
Dans le même ordre d’idée, manger «
très sain » en ruminant des idées sombres, nourrit le corps de toxines psychiques, qui se métabolisent dans les tissus «
comme si c’était du poison », relève Armando Dos Santos. Mieux vaut parfois une junk food entre amis, dans le partage et dans la joie, qu’une carotte bio, déprimé dans son coin ! «
L’enjeu n’est pas de devenir des extrémistes du “manger correct” », confirme Martine Fallon, mais d’aborder l’alimentation comme une opportunité d’éveil de conscience. Notre corps est le reflet de notre intériorité. Il est l’habit dont se vêt notre esprit. Que souhaitons-nous pour lui ? Quelle écoute portons-nous à ses besoins ? De quelle nourriture l’alimentons-nous ? Comment a-t-elle été produite, dans quel respect du vivant ? Et quelle énergie nous transmet-elle ?
«
Si l’on veut s’élever spirituellement et construire un monde qui soit autre chose qu’une poubelle, il est important de choisir des aliments qui vibrent haut et nous tirent vers le haut, insiste Martine Fallon.
Difficile d’avoir un intestin pourri et la tête dans les étoiles ! » Nous sommes ce que nous mangeons. Tout ce que nous mangeons. Le comprendre est l’occasion d’avancer vers plus de soin, pour soi et pour le monde, «
dans un équilibre constant, conclut Lynne Fihey.
Car c’est ça la vie, finalement. »
Se nourrir avec les doigts
Saisir une cuisse de poulet entre le pouce et l’index et la croquer ; tremper son pain dans la sauce… D’après une étude publiée en 2012 dans le British Medical Journal, les enfants qu’on laisse manger avec les doigts – comme 3,5 milliards d’humains sur la planète – diversifient davantage leur alimentation, privilégient les mets sains et s’approprient mieux les différentes textures que ceux nourris à la cuillère. Manger avec les doigts fait appel aux sens. Le toucher dégage les saveurs au niveau du palais, de la langue et des lèvres. Toucher la nourriture
active aussi la libération d’enzymes, qui préparent le corps à l’assimilation des aliments. Et puis, avec les doigts, on mange plus lentement ;
quand arrive le niveau de satiété, au bout de vingt minutes environ, on a absorbé moins de nourriture ; le risque de surpoids
et de diabète s’en trouve diminué.