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Jalâl
Al-Dîn
Rûmî
-
La
religion
de
l’Amour

Grand poète mystique persan et l’un des plus hauts génies de la littérature spirituelle universelle, Rûmî s’est engagé toute sa vie sur la voie de l’amour divin pour atteindre la fusion de l’âme en Dieu.
Jalâl Al-Dîn Rûmî - La religion de l’Amour
Savoirs ancestraux
Rûmî... Il est rare que son doux nom n’évoque rien. Poète de l’amour mystique, génie du soufisme, initiateur de la danse de l’extase des derviches tourneurs, Jalâl Al-Dîn Rûmî, dit simplement Rûmî, est considéré en Orient comme un grand maître spirituel désigné comme Mowlânâ « Notre Maître ». Un « voyant » qui parlait des dangers de la fission nucléaire et de la pluralité des systèmes solaires au XIIIe siècle ! Principalement écrite en persan et traduite dans de nombreuses langues, son œuvre, immense, saisissante par la grandeur de sa pensée et l’intensité des émotions exprimées, célèbre l’amour du divin et la beauté de la théophanie, la révélation d’une divinité. Tant elle est actuelle, la parole de cet auteur de poèmes vertigineux sur l’amour touche aujourd’hui encore un large public, aussi bien musulman que non musulman, notamment outre-Atlantique où il est le poète le plus lu et le plus vendu.

Né le 30 septembre 1207 à Balkh dans l’actuel Afghanistan, dans le Khorasan (grande région de culture persane), Rûmî vécut la plus grande partie de son existence en Turquie à Konya, au terme d’une errance de plusieurs années avec sa famille qui avait fui les massacres mongols. Son père, théologien, enseignant et maître soufi, assura à son fils une éducation d’érudit et exerça sur lui une profonde influence. Des rencontres décisives, dont une qui le marquera à jamais, ont enrichi le long parcours de Rûmî...


La puissance du pur amour


Alors que Jalâl Al-Dîn Rûmî est un maître accompli admiré par des centaines de disciples, sa vie bascule en 1244 lorsqu’il rencontre à Konya un vieux derviche errant, le moine soufi Shams de Tabriz. Pris d’une véritable passion pour lui, le Mowlânâ abandonne tout, sa famille, sa fonction, sa maison pour travailler aux côtés de celui qui devint son initiateur, un messager de Dieu. « Ce que Rûmî porte en lui, son propre trésor spirituel va lui être révélé dans ce miroir de Shams », précise l’islamologue Tayeb Chouiref au micro de Questions d’islam sur France Culture, « faisant naître un amour extrêmement fort, qui paraît passionnel vu de l’extérieur et qui est, comme dira Rûmî lui-même, au-delà des mots, de toutes descriptions. » Doté d’un haut degré de culture religieuse et de réalisation spirituelle, il manquait à Rûmî « ce bouleversement de l’être tout entier, l’annihilation dans l’autre, la libération des forces de vie, la respiration de l’âme dans l’extase, toutes choses qu’il vivra grâce à Shams, par Shams, avec Shams, et qu’il nommera amour, eshq en persan », nous apprend l’iranologue Leili Anvar dans son livre Rûmî, la religion de l’amour. En effet, le Mowlânâ dira de Shams qu’il est « la forme de l’amour ». « Cette découverte déchire les voiles qui lui cachaient la vérité, lui ouvrant les portes de l’invisible », poursuit la traductrice et journaliste. « Cette expérience le bouleverse du tout au tout et le convertit à la “religion de l’amour”. Dans cette religion, [...] il faut tout donner, tout brûler, ce que l’on possède et ce que l’on est. [...] Elle est, essentiellement, ouverture et ascension, “au-delà de l’au-delà”. » Il faut préciser qu’il s’agit d’un amour purement spirituel, un amour divin qui n’a rien à voir avec les passions charnelles physiques quelles qu’elles soient. « Que cet amour s’exprime en termes sensuels dans les poèmes relève du genre littéraire et d’une tradition qui remonte au Coran lui-même [...] C’est bien le pur amour qui englobe toutes les autres expériences et emporte tout sur son passage, jusqu’au poète lui-même », clarifie Leili Anvar. Rûmî parle de puissance alchimique de l’amour. En témoigne son « J’étais mort, je devins vivant, j’étais pleurs, je devins rire. Le règne de l’amour est venu, je devins règne éternel » (Ghazal n° 1393).

La fraternité quasi fusionnelle entre les deux hommes sera de courte durée, Shams meurt mystérieusement, laissant Rûmî dans un chagrin immense, inconsolable d’être séparé de celui qui fut « sa source de vie ». C’est à ce moment-là, habité par le souvenir de Shams, que Rûmî compose l’essentiel de son œuvre lyrique.

Le règne de l’amour est venu, je devins règne éternel !


La danse de l’éveil


danse soufie

Crédit photo : DR

Alors qu’il pleure la disparition de Shams, Rûmî écoute de la musique et danse jour et nuit pour manifester son chagrin. On dit que pendant que le maître tourne et dit ses vers, son jeune disciple Hosâm al-dîn Tchalabî écrit. Cette danse tournoyante lui permet de manifester et de vivre pleinement ses émotions, des douleurs les plus profondes aux joies les plus intenses. Grâce à elle, Rûmî apprend comment le corps est capable de prendre part à l’extase amoureuse et mystique qui conduit à l’éveil spirituel. Car la danse du corps entraînant celle de l’âme, elle éveille cette dernière à l’existence de sa partie oubliée. Cette danse cosmique sacrée appelée le Samâ représente la ronde des planètes autour du Soleil. Se fondre en Dieu tels les atomes de la création... Samâ vient du verbe arabe sami’a qui signifie écouter. Cette pratique soufie est donc avant tout une écoute avec l’oreille du cœur, qui décèle dans des musiques ou des sons particuliers un appel à la recherche du Soi et au retour en un lieu situé au-delà de nos frontières géographiques. Inscrit en 2008 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, le Samâ fut institutionnalisé dans l’ordre de Mevlevi, fondé en l’honneur de leur Maître, et dont les membres sont les fameux derviches tourneurs. Sans l’expérience de la séparation et de l’absence, « Rûmî n’aurait pas pu prendre conscience que ce trésor qui lui semblait être présent en Shams, était présent en lui-même, éclaire Tayeb Chouiref. Elle est source de douleur mais elle est aussi ce déclic qui va mettre en chemin celui qui la ressent, du début de la voie, elle imprime une profonde nostalgie qui va faire naître une quête spirituelle, elle est le remède par excellence. »


Alors Rûmî devient foncièrement poète. Un poète surréaliste... « Il percevait [l’Aimé] par tous ses sens, développe Leili Anvar, charnels et spirituels, dans le murmure du vent et de l’eau, dans le fracas des tempêtes, dans les fleurs et les montagnes, les animaux, les hommes, dans tout ce qui vit, dans le mouvement des sphères et la beauté des astres, dans les ténèbres de la nuit et les lumières changeantes du jour. Dans toute chose, à tout moment, il recherchait l’Aimé et il le trouvait. »

Cette danse cosmique sacrée appelée le Samâ représente la ronde des planètes autour du Soleil.


Cheminer vers l’intérieur


« Si tu es assoiffé de l’océan de l’âme, Arrête-toi un moment dans l’île Masnavî » (Masnavî, VI, 68). Ce distique est l’un des 25 000 que renferme le Masnavî – ou Mathnawî –, le magnum opus de Rûmî considéré comme le plus profond commentaire ésotérique du Coran, encore lu et médité dans tous les pays de l’Islam. Cette œuvre poétique persane de six tomes dit tout l’objet de sa quête : trouver l’unité à travers l’abandon en Dieu. Sa philosophie, sa morale, sa doctrine sont contenues dans cette œuvre. On y rencontre toutes sortes de personnages et de paysages, mais ce qui fait sa singularité, c’est qu’elle est un enseignement spirituel. « Elle se veut une lumière pour tous ceux qui cheminent, quelle que soit leur station(1) spirituelle, éclaire Leili Anvar. Elle invite le lecteur à cheminer précisément, cheminer vers lui-même, vers Dieu, vers la vérité, vers l’amour. C’est un livre de sagesse, une œuvre inspirée par Dieu à l’instar du Coran. » La romancière turque Elif Shafak dans Soufi, mon amour précise qu’« à une époque de profond fanatisme et de heurts violents, Rûmî prôna la spiritualité universelle, ouvrant sa porte à des gens de tous horizons. Au lieu d’un jihad orienté vers l’extérieur – défini comme “la guerre des infidèles” et mené par de nombreux musulmans, à l’époque comme aujourd’hui –, Rûmî plaidait pour un jihad orienté vers l’intérieur, dont le but était de lutter contre son propre ego, son nafs(2), et de le vaincre. » Une invitation à transformer la matière du soi pour devenir un « océan sans rivages » dans un mouvement de retour vers Dieu. En effet, « l’amour spirituel peut tout transformer, tout sublimer, pour peu que l’amant ait la force de s’anéantir, de se vider de l’ego qui est le seul obstacle à l’union avec l’Aimé », complète Leili Anvar à propos de son enseignement. « Se jeter à corps perdu dans l’amour permet d’accéder aux secrets de l’univers et de voir en des scènes visionnaires les vérités spirituelles. »

Mowlânâ Jalâl Al-Dîn qui croyait en l’immortalité de l’âme s’éteint le 17 décembre 1273, à l’aube. Dans la tradition Mevlevi, et selon le vœu de Rûmî lui-même, ce jour s’appelle le « jour des noces », car enfin libérée du tombeau du corps, l’âme peut s’envoler et rejoindre l’essence du Bien-Aimé.

Le chant du Ney
Le Chant du Ney (La flûte de roseau) ouvre Le Mathnawî, l’œuvre poétique majeure de Rûmî composée de plus de 50 000 vers et considérée comme l’une des plus influentes du soufisme et de la littérature persane.

En voici un extrait :

Écoute la flûte de roseau, écoute sa plainte
Des séparations, elle dit la complainte :
Depuis que de la roselière, on m’a coupée
En écoutant mes cris, hommes
et femmes ont pleuré
Pour dire la douleur du désir sans fin
Il me faut des poitrines lacérées de chagrin
Ceux qui restent éloignés de leur origine
Attendent ardemment d’être enfin réunis
Moi, j’ai chanté ma plainte auprès de tous
Unie aux gens heureux, aux malheureux,
à tous
Chacun à son idée a cru être mon ami
Mais personne n’a cherché le secret de mon âme
Mon secret pourtant n’est pas loin
de ma plainte
Mais l’œil ne voit pas et l’oreille est éteinte
Le corps n’est pas caché à l’âme ni l’âme au corps
Ce sont les yeux de l’âme seuls
qui pourraient le voir
Le chant de cette flûte, c’est du feu,
non du vent
Quiconque n’a pas ce feu,
qu’il devienne néant !
(Masnavî, I, 1-34)


(1) Dans le soufisme, le cheminement spirituel, le cheminement vers Dieu se fait par degrés ou stations appelées maqâmât (au nombre de 7 ou 9 selon les sources) qui sont autant d’étapes à franchir pour accéder à une authentique sagesse.
(2) Le nafs est un terme arabe désignant un concept assez complexe dans l’Islam et que l’on pourrait traduire en français par « ego ».

À
propos

auteur

  • Angélique Garcia

    Journaliste
    Angélique Garcia est journaliste depuis une dizaine d'années. Elle a été rédactrice en chef d’un média indépendant en région Occitanie consacré essentiellement aux thèmes de la culture, de l’art, du patrimoine et de l’écologie. Sa collaboration avec l’INREES / Inexploré lui permet de continuer à approfondir des sujets qui l’inspirent depuis longtemps (la conscience, la spiritualité…). En parallèle, elle se consacre à l’écriture. Elle pratique la danse ainsi que le yoga auquel elle se forme en v ...
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À
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Inexploré n°53

Mondes invisibles

dernière parution

Guides, esprits alliés, êtres de lumière et grands archétypes : et si une même substance originelle nous rattachait à une réalité plus subtile et spirituelle ? Notre univers est vaste et demeure mystérieux. La vie pourrait-elle y exister sous une autre forme, mais aussi, sur d’autres plans d’existence ?

Qu’en dit la science ? Notre conscience serait-elle une interface qui permettrait de communiquer avec ces êtres, plus ou moins directement ? Quelle aide précieuse ces êtres des mondes invisibles pourraient-ils nous apporter ? Nos rêves seraient-ils des portes d’accès à ces communications ?

Des sujets d’importance en ces temps troublés, car ces mondes invisibles semblent posséder la capacité de nous inviter à changer d’état d’être, de nous pousser à retrouver une forme d’harmonie avec nous-mêmes, les autres et la nature. Et si nous les écoutions ?

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