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Alors que nos doigts glissent sur le clavier plus souvent que sur le papier, l’art ancestral de l’écriture continue de révéler notre identité profonde. Entre graphologie et thérapie, peut-il devenir un outil essentiel pour explorer notre psyché et transformer nos vies ?
Écrire pour mieux savoir qui je suis
Art de vivre
Si, à l’école, nous avons tous appris à écrire à la plume ou au stylo et selon des règles semblables, aucune écriture ne ressemble à une autre, ni dans la forme ni dans le fond. Car il existe deux pans dans l’écriture. D’un côté, sa forme est la façon dont nous nous sommes approprié les lettres de l’alphabet et celle dont nous allons les assembler pour les coucher sur une page blanche, selon une disposition propre à chacun. « Plus l’enfant grandit, plus il s’individualise, plus l’écriture se personnalise », souligne Annabelle Clerc, graphothérapeute. Avec la généralisation des ordinateurs et des smartphones, on utilise bien évidemment moins le stylo ou le crayon qu’auparavant. À force de répéter le geste, la bosse d’écriture ou boule de l’écrivain, un durillon provoquant une déformation du doigt, s’est transformée en épicondylite, des lésions des tendons des muscles de l’avant-bras. Grâce aux mails et aux SMS, nous écrivons peut-être même davantage que ne le faisait la génération précédente… Dans la forme, y compris lorsqu’il s’agit d’écriture numérique, il reste à faire le choix d’une police et d’une mise en page, ce qui révèle un style graphique propre à chacun.

De l’autre côté, le style dans l’écriture est la façon dont nous organisons les mots pour raconter une histoire. La richesse lexicale, la connaissance de la grammaire et de la syntaxe vont révéler un niveau de connaissance, mais également une personnalité. « Chacun trouve et développe son style. On parle de la plume de l’écrivain, mais toute personne a son propre rythme dans l’écriture », remarque Emmanuelle Jay, art-thérapeute et psychanalyste. Certains sont très directs, voire télégraphiques, dans leur propos, d’autres mettent des petits points partout. Il existe autant de manières d’écrire que de personnalités. Laure, qui a été longtemps secrétaire de rédaction, nous confie : « Quand je dois relire les articles des journalistes rédacteurs, je n’ai pas besoin de regarder la signature. Dès les premières lignes, j’identifie l’auteur du texte, uniquement par son style et sa façon d’organiser les idées. »

L’écriture peut-elle devenir un outil d’analyse et de croissance personnelle, voire une recette thérapeutique ? Que ce soit seul ou avec un praticien, dans les deux cas, étudier notre écriture peut en dire long sur nous. « Elle permet à la fois de mieux se connaître, de méditer, de penser et d’évoluer », constate encore Emmanuelle Jay. Mais quelles sont les techniques d’exploration appropriées ?

Chacun trouve et développe son style. On parle de la plume de l’écrivain, mais toute personne a son propre rythme dans l’écriture.


Allier décodage et transformation


Créée vers 1868 par un prêtre français, Jean-Hippolyte Michon, la graphologie est une technique d’observation et d’interprétation d’une écriture manuscrite, à travers la forme des lettres, la ponctuation et l’allure générale. Elle vise à établir le portrait psychologique de son scripteur. Cette discipline est utilisée à des fins personnelles pour mieux se connaître, ou dans un cadre professionnel, par des entreprises, afin de vérifier si un candidat correspond au profil demandé. Suscitant l’engouement en Europe et aux États-Unis jusqu’au milieu du XXe siècle, elle a été très utilisée par les cabinets de recrutement avant d’être interdite en France, depuis 2016, par principe de précaution, pour éviter tout risque d’erreur d’interprétation. Si elle est devenue assez marginale, elle existe toujours, et la Société française de graphologie garantit une déontologie au sein de ses formations. La graphologie a notamment donné naissance à la graphothérapie. À l’origine, celle-ci s’adressait aux enfants présentant un trouble de l’écriture (dysgraphie) ou du comportement. Aujourd’hui, elle est devenue un outil de développement personnel pour tous.

Pour Annabelle Clerc, l’écriture est avant tout « une photo du mouvement intérieur qui nous anime ». Cette ancienne praticienne en massage thaï, également experte en tai-chi-chuan, a toujours aimé travailler sur « le mouvement libre » du corps. Sa rencontre avec Gabriel Lachaise, graphologue depuis quarante ans, fut déterminante dans son parcours. Ce monsieur, aujourd’hui âgé de 87 ans, l’a choisie pour lui transmettre son savoir. C’est ainsi qu’Annabelle Clerc développe, au bout de quatorze ans de rencontres régulières avec lui, une méthode qu’elle nomme « graphologie évolutive ». Aujourd’hui, elle continue à échanger avec lui sur chaque « cas » de patient qui vient à elle. « La graphologie évolutive allie la puissance de décodage de la personnalité qu’offre l’analyse détaillée de l’écriture à la transformation personnelle que permet la mise en œuvre de changements précis dans la manière d’écrire », précise-t-elle en insistant sur le fait qu’une analyse graphologique requiert énormément d’expérience et de temps, car elle repose toujours sur un contexte global, aussi graphique qu’environnemental.


S’étudier pour retrouver confiance


Le travail commence avant la séance d’échanges avec un client. Annabelle Clerc lui demande d’écrire sur une page blanche l’objet de la problématique qui le pousse à consulter et de la lui envoyer. Par exemple, Géraldine se confie sur sa difficulté à prendre sa place. La thérapeute procède ensuite à une analyse précise de son écriture, à travers notamment la forme des lettres (droites ou penchées, rondes ou anguleuses…) et des mots (espacement, alignement, enchevêtrement…). « Il faut bien prendre conscience que l’écriture change selon la personne à qui l’on écrit et le sujet sur lequel on écrit », analyse-t-elle. Ainsi, Géraldine adopte une écriture très droite pour ses notes personnelles et une écriture penchée pour un courrier formel. Que peut-on en déduire ? « Il n’y a pas de règle absolue, car l’écriture s’analyse, j’insiste, en fonction du contexte. Cependant, il est possible de dire que des lettres inclinées révèlent plutôt un mouvement vers l’autre et l’avenir, alors que des lettres verticales induisent une pause impliquant la réflexion », souligne Annabelle Clerc. Lors de la séance d’échanges, la graphologue révèle ce qu’elle a perçu comme forces et faiblesses à travers son analyse, en insistant sur les premières afin d’affermir la confiance en soi. Elle propose alors à son client des exercices quotidiens de graphologie (redresser une lettre, désenchevêtrer les lignes, laisser du blanc, etc.) afin d’inscrire un changement dans sa manière de fonctionner quand cela s’avère nécessaire. Dans l’exemple cité, Annabelle Clerc demande à Géraldine (dont la problématique est de prendre sa place) de moins enchevêtrer les lettres et d’augmenter l’espacement entre les lignes, ainsi que les marges, à droite et à gauche. Une semaine plus tard s’ensuit une seconde séance, afin de constater les effets de ce travail. Géraldine nous confie : « Sans même faire les exercices, quelque chose avait bougé en moi après la séance. J’ai considéré ma problématique depuis un nouvel angle, à tel point qu’elle a quasiment disparu. J’ai arrêté de me faire des nœuds au cerveau et j’ai retrouvé confiance ! »

Je signe, donc je suis !
L’analyse de la signature est révélatrice d’une personnalité et d’une histoire. Or, la plupart des personnes ne font pas la démarche d’en changer, sauf les femmes lorsqu’elles se marient. « Toute notre vie, nous évoluons et notre signature doit suivre ce mouvement pour être révélatrice de ce que nous sommes devenus », pense Annabelle Clerc, qui a créé avec Olivier Clerc, son mari, la retraite Genesis dans laquelle elle anime un atelier intitulé « Mettre sa signature en mouvement ». Elle-même a une relation très particulière avec sa signature. Quand elle a pris conscience qu’elle signait comme son père, elle a décidé de tester d’autres « mouvements » de lettres… C’est ainsi qu’elle a changé de signature pour en adopter une nouvelle qui lui ressemblait davantage !


Guérir les blessures avec les mots


L’écriture thérapeutique est un autre espace de connaissance de soi et d’évolution. Emmanuelle Jay l’a mise au centre de sa pratique quand il s’agit de traiter les traumas, la dépression, le deuil ou les addictions : « L’écriture offre une autre façon de passer par les mots. Elle a ce pouvoir de surprendre celui qui écrit. Elle permet à la pensée de cheminer intérieurement autrement qu’avec la parole. » C’est après avoir travaillé sur l’écriture audiovisuelle à travers le montage des images et des sons que la jeune femme se tourne vers l’écriture créative en écrivant plusieurs livres, dont un de poésie. « Ce n’est pas le processus littéraire qui m’a portée, mais mon goût prononcé pour la créativité, la sensorialité à travers le médium qu’est l’écriture. À travers les images et les métaphores, les mots sont une matière. La main devance l’esprit. Elle fait le pont entre les espaces du mental, du corps et du cœur », précise-t-elle. C’est ainsi qu’elle a utilisé l’écriture comme un support d’analyse, lors de séances d’art-thérapie, notamment individuelles.

Après un bref échange, Emmanuelle Jay lance une consigne d’écriture autour d’une problématique choisie avec son consultant. Celui-ci écrit pendant cinq minutes tout ce qui lui vient à l’esprit. « Il n’y a aucune attente… L’idée est de laisser place à son imaginaire », souligne-t-elle. Puis le consultant lit son texte à voix haute, ce qui évite en partie la peur du jugement sur la forme (par exemple, pour les dyslexiques qui ont un rapport compliqué à l’écriture). « Cet exercice est souvent révélateur pour le patient. Il fait des liens entre ce qu’il a écrit et sa propre vie. » S’ensuit un échange avec la thérapeute qui va poser des questions sur le fond (respect des consignes, répétitions, absences, symboles, etc.), et dans une moindre mesure, sur la forme (utilisation d’un crayon, stylo, feutre de couleur, etc.). Les textes deviennent un support de thérapie, car « la manière dont on écrit révèle des processus psychiques », selon Emmanuelle Jay qui propose dans la même séance deux autres exercices d’écriture, à partir d’éléments clés du premier texte. Toujours dans l’idée de susciter l’imaginaire du consultant, elle utilise aussi parfois des cartes-photos ou des mots tirés au hasard dans un bocal.


Aller plus loin


Lors d’une séance de psychanalyse, Emmanuelle Jay propose un passage par l’écriture lorsque les mots manquent et que l’imaginaire se tarit. « L’écriture ralentit et remet en mouvement la pensée en créant de nouveaux embranchements », précise la thérapeute. D’où l’intérêt d’écrire un journal intime ou une lettre à ses proches pour dénouer un problème. « Il est même possible d’écrire à quelqu’un sans lui montrer ou lui envoyer notre lettre. Écrire a une fonction de décharge émotionnelle. C’est très cathartique. » Emmanuelle Jay propose également des séances d’écriture en groupe, car la présence des autres et leurs propres productions permettent de décupler les effets thérapeutiques, selon elle. Prendre sa place dans le groupe est une façon de gagner en confiance.

« Dans les moments de lecture, on écoute les textes et on découvre les univers de chacun, ce qui permet de mieux percevoir sa singularité et de mieux se comprendre. Les échanges et les encouragements du groupe permettent la reconstruction », ajoute la thérapeute. Pratiquant également la boxe, Emmanuelle Jay a eu l’idée de créer un atelier mixant séances de boxe et d’écriture, l’une après l’autre, comme pour construire un pont entre le corps et l’esprit. « Dans l’attaque comme dans la défense, entre violence et contenance, la boxe provoque des états de grande intensité émotionnelle. Ce sport de contact permet à la fois de se connecter au corps et de s’ancrer psychologiquement. Il est intéressant d’écrire juste après, car l’écriture devient alors très spontanée. Certains participants parlent d’écriture sauvage », remarque la thérapeute. L’exercice est particulièrement enrichissant pour les personnes qui n’ont pas l’habitude d’écrire, qui sont très en colère, agressives, ou au contraire très introverties. L’écriture devient ainsi un instrument de libération, tout en laissant une trace dans l’histoire. Car, ne l’oublions pas, elle est aussi mémoire !

Une ressource créative et intuitive
Si l’écriture « intuitive » ou « créative » est souvent pratiquée par les écrivains, n’importe qui d’autre, sans compétence littéraire particulière, peut s’y essayer, seul. Melanie Chereau, auteure d’un livre sur le sujet(1), nous invite à créer notre rituel :

1. Choisissez un contexte : l’heure, le lieu et la mise en scène (encens, bougies, musique, etc.)
2. Via une méditation ou de l’autohypnose, plongez dans un état modifié de conscience.
3. Créez un tableau sur lequel vous allez coller ou punaiser des photos et inscrire des mots qui vous inspirent. Prévoyez aussi un espace pour noter vos intentions de départ. Par exemple, « je souhaite éclaircir cette situation… »
4. Mettez-vous physiquement et émotionnellement à l’écoute de votre intuition.
5. Sur une feuille de papier ou sur votre ordinateur, notez ce qui vient…

« Utiliser l’écriture intuitive permet d’avoir des réponses, des guidances sur tous les sujets qui nous préoccupent, mais aussi de prendre des distances avec le mental », analyse Melanie Chereau. Elle permet une connexion à l’Univers et à tout ce qu’il recèle comme mémoires et secrets. En cela, l’écriture est un chemin qui ouvre à plus grand que soi, et donc à la créativité.


Pratiquez l’écriture intuitive, Melanie Chereau, éd. Leduc Eso, 2022.
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