Telle une énigme nous invitant à penser autrement, l’expérience du Chat de Schrödinger, imaginée par le physicien Erwin Schrödinger dont on fêtait le 126e anniversaire dernièrement, compte parmi les grands classiques de cette physique qui repousse nos frontières. Explication d’une théorie qui illustre un chat vivant et mort à la fois.
La physique quantique nous demande de saisir des notions qui sont à contre mesure de nos habitudes de pensée. Toutefois ces challenges et ces casse-têtes virtuels sont souvent stimulants et nous permettent d’élargir notre compréhension des choses. Telle une énigme nous invitant à penser autrement, l’expérience de pensée du Chat de Schrödinger compte parmi les grands classiques de cette physique qui repousse nos frontières. C’est l’histoire d’un chat qui est dans tous ses états, tant qu’on ne l’a pas regardé…
Imaginée en 1935 par le physicien Erwin Schrödinger, cette expérience permet d’aborder le problème posé par le fait que les particules, qui sont à la base de notre matière, semblent être dans des états indéterminés.
« En mécanique quantique on a observé que les particules peuvent être dans un état qui n’est pas défini, avoir des vitesses ou des positions qui ne sont pas déterminées. Ce qu’on dit alors, c’est que tous ces états existent simultanément, qu’ils sont superposés », nous explique Philippe Guillemant, physicien, spécialiste de l’intelligence artificielle et du temps, ingénieur de recherche au CNRS. Donc tant que nous n’avons pas pris la mesure de ces particules, elles sont dans tous leurs états à la fois.
Afin d’aborder les questions soulevées par ces états quantiques superposés, Schrödinger a imaginé une situation dans laquelle un chat serait placé dans une boîte avec un dispositif qui tuerait l’animal dès qu’il détecterait la désintégration d’une particule radioactive. Le hic, c’est que cette particule peut se trouver dans tous les états possibles, et le chat – qui est intriqué avec la particule dans cette expérience – est donc à la fois mort et vivant, il est indéfini. Et nous n’avons aucun moyen de savoir quel est cet état indéfini, car prendre sa mesure a pour effet de le réduire à un seul état, soit mort, soit vivant.
« Il faut se représenter que nous ne sommes pas dans une réalité telle que nous la voyons habituellement, mais dans un univers d’informations. L’idée c’est alors que la réalité que nous essayons de voir dans la boîte n’existe pas tant que la mesure n’a pas été faite. L’univers n’a tout simplement pas d’information sur l’état du chat dans la boîte », poursuit Philippe Guillemant. Alors comment comprendre ce moment clé où l’état se définit ? Que se passe-t-il ? Là sont les questions auxquelles le chat attend impatiemment des réponses.
Un univers multiple ou unique ?
Première des trois théories, qui d’après Philippe Guillemant sont intéressantes pour l’interprétation de cette expérience : la théorie des univers multiples de Hugh Everett, qui propose l’existence d’un éventail de mondes parallèles. Les états indéfinis ou superposés seraient comme différentes possibilités qui existeraient chacune dans un monde parallèle séparé. En ce qui concerne notre chat, il y aurait donc un univers où il est retrouvé mort et un autre où il est retrouvé vivant. Et à chaque fois que se présenteraient plusieurs possibilités, de nouvelles branches d’univers se créeraient et continueraient d’exister en parallèle.
« Et ça se produirait à chaque fois que nous faisons un choix. Mais c’est impensable. Vous imaginez, la conscience devrait également être dédoublée. Nous aurions des milliards de milliards de milliards de doubles conscients dans des univers parallèles », souligne Philippe Guillemant.
La seconde théorie proposée s’appuie sur le phénomène dit de
« décohérence ». La décohérence est un procédé qu’emploie la nature pour partir d’états indéfinis et les réduire en un seul état final, par des interactions avec l’environnement. Au lieu d’arriver dans une multiplicité de manifestations, les états superposés se matérialisent en un choix effectué dans l’espace temps qui existe de manière précise pour nous.
« La décohérence nous amène à notre seul univers réel. Ce qui ne veut pas dire que les autres univers n’existent pas pour la physique, précise Philippe Guillemant,
mais ils sont potentiels et non réels ».
Le problème du choix
Seulement voilà, la décohérence n’explique pas le choix. Elle montre un moyen mais pas la direction. Nous savons que nous allons arriver à un état final, mais lequel ? Notre pauvre chat attend toujours sa réponse. La théorie de la décohérence se décline en deux interprétations, dont l’une propose qu’il y ait des variables cachées, c’est à dire que le choix nous échappe, et l’autre propose que le choix soit aléatoire.
« Mais le problème c’est que ça fait intervenir un hasard qui est celui d’un Dieu qui jouerait aux dés », poursuit Philippe Guillemant - rebondissant sur cette fameuse expression d’Einstein
« Dieu ne joue pas aux dés ».
Soutenue par des prix Nobel comme Eugène Wigner et par les français Bernard D’Espagnat et Olivier Costa de Beauregard, la troisième théorie proposée avance que le choix serait effectué par une forme… de conscience.
« Le rôle de la conscience serait de déterminer l’état final de la particule. On arrive à un seul univers réel vécu par la conscience », explique Philippe Guillemant. Force fondamentale de notre univers, un libre arbitre serait à l’œuvre, dont nous serions nous-mêmes dotés comme toutes les formes de consciences. C’est ce libre arbitre qui agirait dans la construction de notre réalité. Voilà que cette branche de la physique quantique rejoint les plus vieilles traditions de notre monde.
Quand le temps s’en mêle
« Je suis d’accord avec l’idée de l’influence de la conscience, par contre pour moi elle n’intervient pas dans le présent, c’est à dire pas au moment où la boîte est ouverte et donc au moment de la mesure. La conscience intervient sur le futur ». Voilà que Philippe Guillemant introduit le temps dans l’équation. En fait tant que la particule et le chat sont indéfinis, le temps n’existe pas. Tout est simultané, tout est là en même temps. Mais lorsqu’un choix est fait, ce positionnement se traduit par un événement, qui produit du temps. On dit alors que nous entrons dans une épaisseur d’événements, qui fait apparaître l’épaisseur du temps tel que nous le connaissons. Imaginez que vous décidez d’aller chercher du pain mais vous ne savez pas encore comment vous allez vous y rendre. La réalité d’acheter du pain se crée dans « votre futur », sous forme d’informations, pas sous forme temporelle. La direction est donnée, le choix est fait. Et les moyens pour aller chercher du pain se matérialisent ensuite, en créant l’épaisseur de chaque instant, à la suite les uns des autres, ce qui donne la sensation du temps linéaire. Un potentiel futur influencerait notre présent. Alors, quels choix de conscience faites-vous ?
Conférence de Philippe Guillemant à Reims le 17 novembre 2013, dans le cadre du congrès Quantique Planète