Cet été, lors des Jeux olympiques de Rio, le monde entier aura les yeux tournés vers le Brésil. De ce gigantesque pays sud-américain, nous connaissons l’allégresse légendaire de son peuple métissé qui, mieux que quiconque, a su faire de la fête un art, son carnaval et ses danseuses de samba callipyges, ses plages animées, la bossanova et autres musiques populaires qui font danser nos ondes radio. Ou encore ses prouesses en matière de football, un sport auquel les Brésiliens vouent une passion sans bornes, considérant presque le ballon rond comme une religion et ses joueurs comme des demi-dieux, célébrés tambour battant. Justement, côté religion, le Brésil est renommé pour sa ferveur chrétienne. Avec plus de 130 millions de fidèles, il s’impose comme le plus grand pays catholique et évangélique du monde. Le crucifix est partout dans les lieux publics, et la statue du Christ rédempteur, surplombant la baie de Rio de Janeiro au sommet du Corcovado, rappelle au reste du monde qu’ici, le christianisme est bâti sur un roc.
Être croyant, une identité nationale
Mais au-delà des apparences, le Brésil est avant tout la terre du syncrétisme par excellence. Un pays dont l’exceptionnelle diversité culturelle (indigène, africaine et européenne), héritée de son passé colonial, a rendu possible la rencontre, pourtant improbable, entre les saints catholiques, les divinités africaines et les esprits de la nature des peuples premiers, à travers divers rituels mêlant chamanisme amazonien, traditions animistes yorubas d’Afrique noire et catholicisme populaire.
Ici, en réalité, déclarer : « Je suis catholique » revient à peu près à affirmer : « Oui, je suis Brésilien et oui, je crois en Dieu. » Plus qu’une religion, il s’agit d’une identité nationale. Mais dans les faits, la plupart des Brésiliens sont surtout adeptes de cultes privilégiant la communication avec l’au-delà, estimant qu’un contact direct avec les forces invisibles auxiliaires peut les aider à résoudre des problèmes de nature diverse – matériels, de santé, amoureux… – ou les protéger du mal. Ainsi, La plupart pratiquent – ou ont déjà pratiqué, occasionnellement – des rites qui ne célèbrent pas uniquement le Saint-Esprit mais invoquent les nombreuses divinités africaines qui dirigent les forces de la nature, les
orixás, et convoquent des êtres de lumière – comme les
pretos velhos, sages de la lignée des esclaves, et les caboclos, de la lignée des Indiens – qui vont prodiguer conseils, enseignements, oracles, désenvoûtements ou nettoyages énergétiques.
Les Brésiliens considèrent que nous sommes tous médiums.
Le spiritisme, troisième religion du pays
Car le Brésil est devenu la patrie de la médiumnité. Si les cultes animistes directement hérités des esclaves africains – comme le candomblé – sont plus répandus dans les classes sociales défavorisées, ceux qui jouissent d’un niveau socio-éducatif plus élevé vont davantage adhérer à la doctrine spirite, codifiée au XIXe siècle par Allan Kardec, un philosophe spiritualiste lyonnais, méconnu en France. Ses écrits traduits en portugais ont servi à vulgariser les phénomènes médiumniques et font office de référence pour toute la population brésilienne ! Les adeptes du spiritisme – appelé aussi « kardécisme » – croient à la nécessité des réincarnations pour évoluer vers la perfection, et en la possibilité de communiquer avec les esprits, via des canalisations ou des incorporations. Ceux qui sont « incorporés » par des médecins atteignent des sommets de popularité puisqu’ils auraient, grâce à cette « collaboration », la possibilité de guérir les gens venus les consulter. Réputé internationalement, Jean de Dieu, médium- guérisseur, reçoit toute l’année gratuitement des milliers de personnes du monde entier, à Abadiânia, près de Brasilia.
Mais le plus célèbre d’entre eux, celui qui, au XXe siècle, a popularisé le spiritisme et la médiumnité au Brésil, est incontestablement Chico Xavier. Décédé en 2002 à l’âge de 92 ans, ce médium a voué sa vie à soigner gracieusement des dizaines de milliers de personnes, et publié plus de 450 livres. Des ouvrages qui lui auraient été dictés par des esprits hautement évolués, et dont les droits d’auteur ont tous été reversés à des œuvres caritatives. Ses œuvres, reconnues d’utilité publique, vont des crèches aux orphelinats, des écoles aux bibliothèques, en passant par des cliniques, des dispensaires, des maisons de retraite… Officiellement reconnu comme la troisième religion du pays, le spiritisme est aujourd’hui pleinement intégré dans le quotidien des Brésiliens. Les hôpitaux psychiatriques spirites sont subventionnés et pourvus de médecins diplômés d’État qui considèrent que les troubles mentaux peuvent provenir d’événements négatifs survenus dans le passé ou lors d’une vie antérieure, ou encore de l’influence d’esprits en souffrance.
En connexion avec les esprits
Entre le candomblé et le spiritisme, considérés comme le pôle « noir » et le pôle « blanc », plusieurs autres cultes syncrétistes, influencés par ces deux univers, ont vu le jour. Comme par exemple l’umbanda, né dans les années 1920, très pratiqué par les classes populaires, majoritairement urbaines. Du spiritisme, ces adeptes ont conservé la conception de la réincarnation et de la médiumnité mais la transe est différente puisque dans la doctrine spirite, le médium est censé maîtriser l’esprit qui pénètre en lui, alors que dans l’umbanda, les incorporations sont souvent spectaculaires. Dans toutes les villes, les
umbandistas ont une ou plusieurs maisons de culte – les
terreiros – ouvertes à tous. L’umbanda est la seule religion considérée comme 100 % brésilienne. Pour faciliter la connexion avec les autres mondes, plusieurs dizaines de milliers de Brésiliens participent régulièrement à des sessions de prise d’ayahuasca.
Il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui affirment voir des entités, les entendre, les sentir.
Ce breuvage végétal psychoactif, utilisé depuis la nuit des temps lors de cérémonies chamaniques par de nombreux peuples premiers, est depuis le début des années 1930 sorti de sa spécificité indigène afin de favoriser la connexion au divin, lors de rituels de prière au sein du « monde civilisé », avec la première communauté chrétienne neo-
ayahuasqueira, le Santo Daime. Depuis, d’autres mouvements éclectiques utilisant ce breuvage enthéogène ont vu le jour, notamment l’umbandaime – fusion de l’umbanda et du Santo Daime – qui encourage les incorporations. Si la plupart des Brésiliens intègrent avec autant d’aisance les esprits dans leurs rituels religieux, c’est qu’ils n’ont aucun doute sur leur existence, affirmant en faire régulièrement l’expérience dans le monde matériel. En effet, il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui affirment voir des entités, les entendre, les sentir, les canaliser ou même les incorporer.
Une énergie subtile qui pénètre notre corps spirituel
Partant du principe que nous sommes des êtres spirituels vivant une expérience matérielle et que l’être humain, par nature, est une antenne entre ciel et terre, un intermédiaire entre les mondes d’en haut et les mondes d’en bas, les Brésiliens considèrent que nous sommes tous médiums – de l’anglais «medium» qui signifie «moyen» (intermédiaire dans la communication) – et que nous avons donc tous la capacité, plus ou moins aiguisée, de communiquer avec les esprits, soit consciemment, soit par une intuition qui persiste dans notre cœur.
De plus, on estime ici que plus de la moitié de la population mondiale aurait la capacité d’incorporer. Rien à voir avec les images d’épouvante des films d’horreur qui hantent l’Occident.
Il s’agit le plus souvent de la manifestation d’une énergie subtile qui va non pas entrer dans notre corps mais pénétrer notre corps spirituel. Il existe d’ailleurs, dans tout le pays, de nombreux lieux, comme le temple du Vale do Amanhecer près de Brasilia ou dans les terreiros d’umbanda, ou l’on peut – toujours gratuitement – recevoir des enseignements pour réveiller ses propres capacités médiumniques, se familiariser avec elles en apprenant à contacter ses guides ou ses mentors, et a les incorporer sur commande, pour ceux chez qui cette faculté a été décelée. Selon la croyance brésilienne, communiquer avec les divinités et les esprits, les célébrer, les remercier de leur présence permet de bénéficier de leurs connaissances et de leurs pouvoirs pour nous aider na maintenir l’harmonie. Celle du monde matériel, et de notre être intérieur. Choisir de développer sa propre médiumnité est considéré ici comme un véritable engagement caritatif permettant d’aider les âmes perdues – incarnées et désincarnées – à évoluer en coopérant avec les êtres de lumière. Accepter son rôle de médium, c’est se mettre au service de l’humanité et contribuer à l’éveil spirituel de la planète. Ainsi, le Brésil, devenu la patrie du spiritisme et de la médiumnité, est déjà en chemin vers un nouveau paradigme, ou l’invisible est une réalité tangible qui influence notre santé et notre environnement.