Au-delà est l'histoire de trois personnages hantés par la mort et des interrogations qu'elle soulève. Expériences de mort, médiumnité, deuil... Le réalisateur aborde avec une subtilité rare des sujets complexes et difficiles. Décryptage du nouveau film de Clint Eastwood.
Au-delà raconte l’histoire de trois personnages confrontés, chacun à leur manière, à la mort. L’actrice Cécile de France y incarne Marie Lelay, une journaliste ambitieuse qui mène sa carrière tambour battant. On la découvre en vacances en Indonésie, avec son compagnon Didier (Thierry Neuvic). La scène se passe en décembre 2004, quelques minutes avant que le tsunami ne dévaste une grande partie de l’Asie de Sud-Est. Marie est au milieu d’une rue commerçante lorsque la vague la submerge. Elle perd connaissance. Les yeux grands ouverts, le corps inerte, elle dérive sous l’eau, entre la vie et la mort. Elle est en train de vivre une expérience qui va bouleverser son existence. A San Francisco, George Lonegan, interprété par Matt Damon, vit sa vie en solitaire. Il tente de trouver sa voie après avoir renoncé à être médium. Le contact permanent avec les défunts est pour lui une « malédiction » car cela l’empêche d’avoir une vie « normale », harcelé qu’il est par les requêtes des gens qui cherchent désespérément un dernier contact avec leurs chers disparus. Retour en Europe, dans un quartier populaire de Londres, pour le dernier volet de ce triptyque. Marcus et Jason (Frankie et George McLaren) sont deux jumeaux débrouillards que leur mère, accroc à la drogue, laisse livrés à eux-mêmes. La mort de Jason survient brutalement. Marcus se retrouve seul au monde. Son obsession, dès lors, est de reprendre contact avec son frère...
Marie, George, Marcus – Paris, San Francisco, Londres – trois solitudes dans trois lieux géographiquement éloignés, trois êtres que la vie confronte à la question de la mort. L’expérience de mort imminente, celle de la médiumnité et celle du deuil, amènent à la même interrogation : que se passe-t-il quand on meurt ? Et au-delà ?
Le réalisateur Clint Eastwood aborde le sujet sans préjugés, ni dogmatisme.
« Nous ne savons pas de quoi est fait l’au-delà » souligne-t-il.
« Certains y croient, d’autres non, c’est seulement après que nous serons fixés. » Une évidence qu’il est bon de rappeler.
Aussi, tout au long du film, le réalisateur résiste-t-il à la tentation de proposer des réponses. Il choisit à l’inverse de nous faire partager l’intimité, le cheminement et les doutes des protagonistes, sans parti pris, tout en présentant le mystère de ces expériences extraordinaires aux frontières de la mort.
Il fallait la sobriété de ce réalisateur d’exception pour aborder de tels sujets dans toute leur complexité. Cette histoire, toute en mesure et étonnamment fidèle à la réalité, à la fois des récits d’expérience de mort imminente, et de la médiumnité, on la doit au scénariste Peter Morgan, auteur notamment de
The Queen ou du
Dernier roi d’Ecosse. Peter Morgan a d’ailleurs écrit ce film d’une manière inhabituelle, très rapidement. La mort d’un ami proche allait nourrir son questionnement.
« Je ne me souvenais pas d’avoir jamais lu un scénario comme celui-ci, qui pose des questions aussi fondamentales » déclare Clint Eastwood.
« J’ai aimé la façon dont Peter a écrit ces trois histoires, à la fois indépendantes et étroitement connectées. »
Ce qui intéressait Clint Eastwood était de montrer l’évolution des personnages et la manière dont leurs interrogations influent sur leur vie, en déviant le cours. Les visions appartiennent à ceux qui affirment les avoir eus. En revanche, leurs conséquences sont visibles, palpables. L’expérience de mort imminente, (EMI) de Marie ne peut être filmée, au contraire des changements qu’elle provoque.
C’est aussi le point de vue des médecins et des psychiatres qui les étudient depuis longtemps. Les EMI font l’objet de recherches importantes depuis plusieurs décennies, tant en psychologie que dans différentes branches de la recherche médicale. Les scientifiques identifient en effet deux axes de recherche : l’exploration des rapports entre cerveau et conscience, et l’étude des modifications de comportement provoqués par les EMI chez les rescapés d’accident et les survivants d’arrêt cardiaque.
C’est ce dernier point qui est traité principalement dans Au-delà, à travers le parcours du personnage joué par Cécile de France, Marie.
« Après avoir frôlé la mort et être passée quelques secondes de l’autre côté, Marie retourne à Paris. Elle reprend son activité, mais l’événement a bouleversé sa vie de fond en comble. Rien ne sera plus comme avant » explique Clint Eastwood. C’est précisément la nature même de ces évolutions – souvent positives – qui fait dire aux chercheurs que les EMI ne sont ni des délires, ni des hallucinations, mais des phénomènes psychiques tout à fait spécifiques. Des expériences qui remettent en outre certains de nos modèles scientifiques en question : comment avoir une expérience consciente, percevoir son environnement, et s’en souvenir, alors que l’on est en état d’arrêt cardiaque, et qu’en conséquence, le cerveau n’est plus fonctionnel ? Pourquoi les EMI changent-elles la vie de ceux qui en font l’expérience, et que nous apprennent les recherches scientifiques sur le sujet ? Eléments de réponse dans les pages de ce dossier spécial.
L’autre sujet central du film est la médiumnité, à la fois dans le personnage joué par Matt Damon, George, et à travers la quête de Marcus qui va de médium en médium en quête d’une communication avec son jumeau disparu. Parlant du rôle de George, Clint Eastwood déclare :
« Nous essayons de présenter son activité comme légitime, à chacun de décider ensuite si la voyance peut-être considérée comme une pratique fondée. » C’était également l’objectif du journaliste Stéphane Allix, qui, après la mort de son propre frère en 2001 s’est retrouvé dans une quête similaire à celle de Marcus. Sa première rencontre avec le médium Henry Vignaud, relatée dans son livre La mort n’est pas une terre étrangère, n’a certes pas répondu à toutes les questions, mais elle a enrichi le kaléidoscope du mystère. Elle l’a ensuite ouvert à la recherche en cours sur ce sujet de la médiumnité. Réelle communication avec l’au-delà ou capacités extrasensorielles, le débat reste ouvert, mais les questions que ce phénomène pose sont vertigineuses. Nous y consacrons la seconde partie de notre dossier.
Pas plus que le film, le dossier que nous consacrons à ces deux sujets - EMI et médiumnité - n’a vocation à apporter de réponses définitives. La science, aujourd’hui, n’est pas en mesure de dissiper le doute sur une possibilité de la survie d’une partie de la conscience après la mort. Il demeure que l’impact des expériences de mort imminente, vécue par Marie dans le film, et par sans doute des millions d’autres femmes et d’hommes à travers le monde, est bouleversant. Ce point doit nous inciter à nous interroger, comme c’est le cas pour tous les chercheurs qui se sont penchés sur la question. C’est rester rationnel que d’être ouvert, avide d’écouter et d’apprendre, face à ces phénomènes inexpliqués...