La première inspiration fut sans doute céleste. Hommes des cavernes ornant les parois des grottes, pyramides de l’Égypte ancienne, cathédrales européennes... : l’art a séculairement été d’inspiration divine. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Difficiles d’accès, froides, ouvertes aux ours et autres bêtes, les grottes ornées pariétales étaient des lieux hostiles. D’après les archéologues, peu de personnes devaient y avoir accès et elles ne servaient pas d’habitation. Les restes trouvés sur les sols évoquent des rites et des cérémonies et l’acoustique particulière de certaines grottes était sans doute utilisée. Concernant les créations de ces époques, l’art pour l’art ou l’ornementation sont donc des pistes écartées par les historiens. Sans doute les multiples peintures, pochoirs, gravures de ces grottes, avaient- ils comme origine un élan spirituel, une création sacrée destinée aux premiers dieux ou esprits. Geste sociétal, rite de passage, protection ou ornementation céleste, ce sont là les premières traces mêlant l’art et le sacré, comme le résume Fabrice Huard, professeur d’histoire de l’art :
« On peut légitimement penser que le moteur religieux fut la motivation première. Les grottes semblent être des espaces sacrés et l’art pariétal – ces premières représentations graphiques stylisées de la nature – est associé à la sacralisation de l’espace de la grotte. » La première fois que l’humain est inspiré, peut-être tourne-t-il son regard vers plus grand que lui, et dans un geste mêlant dévotion et crainte, il signe là, sur les parois de pierre, les gestes qui impriment son respect, son émerveillement et l’espoir fou d’être rassuré.
Plus tard, à travers le monde, chaque reste retrouvé de civilisation ancienne comprend un lieu de culte, des tombes sacrées ou des statues de dieux.
D’Angkor au Machu Picchu, de l’île de Pâques à l’Égypte, partout l’humain construit à l’intention du divin des édifices extraordinaires qui défient les siècles par leur résistance. S’installe alors le rapport encore interrogé de nos jours entre le sacré et le profane, où l’art, pont matériel entre les deux, serait une porte ouverte ou fermée, selon les initiations. Le temple, le lieu de culte est la manifestation de ces espaces, déterminant à la fois le temps ainsi que les rôles de chacun, et incarne la réunification du divin et de l’homme selon des règles strictes.
« Lieu saint par excellence, le temple resanctifie continuellement le monde, parce qu’il le représente et à la fois le contient », décrit Mircea Eliade dans
Le sacré et le profane. D’après l’historien, le temple est l’
imago mundi (l’image du monde), en tant qu’il est l’œuvre de Dieu par le biais des hommes.
Les arts ici assemblés (architecture, peinture, chant, sculpture, etc.) unifient intemporellement toute la société, l’histoire et les dieux. Ce fut ainsi de par le monde pendant de nombreux siècles.
Égypte : l’art sacré omniprésent
En Égypte ancienne, l’art faisait partie de la vie, et la vie faisait partie de l’art.
La recherche esthétique ne pouvait être comprise que dans une recherche spirituelle, un sens donné.
Les artisans avaient comme objectif de saisir « l’esprit » de ce qu’ils représentaient. Même ce qui pouvait être apparemment « profane » avait une dimension sacrée et était rassemblé autour de croyances communes. L’art était une exaltation permanente de la vie.
Ainsi, derrière la moindre création, qu’elle soit architecturale, ornementale ou autre, on retrouvait une signification symbolique, éthique et spirituelle.
« Les anciens Égyptiens avaient une vision holistique du monde, où tout était en correspondance : harmonie, équilibre, sagesse, beauté, bien-être. Ils ont donc excellé dans les constructions monumentales comme dans la statuaire, dans les fresques impressionnantes des grandes tombes royales comme dans les objets du quotidien, qui comportaient tous une dimension symbolique » , explique Florence Quentin, égyptologue. La spécialiste nous raconte que tout était sacré, même un objet du quotidien comme un miroir dont le manche représentait Hathor et permettait à sa détentrice de recevoir les bienfaits de la déesse, associée à la renaissance et à l’harmonie.
Il est également important de saisir que les grandes constructions égyptiennes, comme les pyramides ou les temples, étaient aussi l’occasion de former un véritable ciment sociétal. Florence Quentin y voit l’origine de la stabilité de la société égyptienne, qui a duré des millénaires : «
Lorsque les ouvriers participaient à la construction d’une pyramide – le tombeau de leur roi considéré comme un “escalier” lui permettant de s’unir aux “étoiles impérissables” –, à travers lui, ils accédaient eux aussi à l’immortalité. » En Égypte ancienne, l’art et le sacré étaient donc intimement liés. La spécialiste conclut : «
L’art pour l’art, la recherche de l’esthétique dénuée de “sens” n’ont jamais eu cours en Égypte ancienne : l’artisan ne recrée pas à l’identique l’apparence des choses, mais il saisit plutôt l’esprit d’une personne, d’un animal ou d’un objet pour le retranscrire ensuite. Même ce qui relève apparemment du profane a le plus souvent une dimension sacrée, religieuse, qui unit une communauté autour de croyances communes. » Ici, la notion de sacré prend le sens que lui donnait Marcel Mauss, soit une notion sociale, un produit de l’activité collective. (...)