« Je ne suis pas sûr de grand chose dans cette vie, il y a au moins une chose dont je suis certain : je vais mourir ! » C'est sur ces premiers mots que l'INREES a recueilli le témoignage de vie d'un philosophe unique. Entretien avec Michel Cazenave qui livre sa part la plus intime.
Au-delà
La mort...
Dans notre société moderne, elle est complètement mise de côté. Je me rappelle très bien enfant que ma grand-mère ou mes grands-tantes sont mortes chez elles et qu’on les a accompagnées graduellement vers la mort. Alors qu’aujourd’hui on ne pense qu’à une chose : s’en débarrasser. A la limite, la mort n’existe pas. Quel sera le prix à payer ? Parce qu’on le veuille ou non, la mort est là. Comme dit Heidegger, nous sommes des êtres vers la mort ; la mort que nous avons à affronter. Et nous vivons dans le déni d’une réalité si fondamentale que je pense que ça risque de nous éclater à la figure. C’est vrai, la philosophie là-dessus a été très, très démunie ; car comment est-il possible de réfléchir à quelque chose que par définition nous n’avons pas expérimenté ? Nous sommes dans de la théorie, des hypothèses. Il faut pourtant essayer de la penser, tout en sachant que nous ne pouvons pas la penser réellement car si nous sommes en vie, nous ne sommes pas morts, donc la mort n’existe pas. Je me demande si l’idée qu’introduit l’Orient en voyant la mort comme le contraire de la naissance - pas du tout le contraire de la vie - n’est pas plus intéressante, beaucoup plus riche et beaucoup plus féconde.
Pensez-vous à votre propre mort ?
Je ne peux pas ne pas y penser. D’abord parce que je suis obligé de prendre en compte le fait que je suis né pour remplacer un frère mort. Le premier enfant de mes parents s’est noyé. Cela provoqua une crise de mélancolie absolument terrible chez eux, évidemment. Mais ils ont eu cette réaction, cette volonté d’affirmer la puissance de la vie ; je suis né onze mois après sa mort. J’ai été marqué du signe de la mort tout de suite, il m’a fallu faire tout un travail pour admettre que j’existais réellement. Et puis, si je ne suis pas sûr de grand chose dans cette vie, il y a au moins une chose dont je suis certain : je vais mourir ! Comment mettre ça entre parenthèses ? Je vais mourir un jour, donc il faut bien que je me pose la question. Qu’est-ce que cela va signifier dans ma vie ? Il est curieux que l’on ne puisse pas réfléchir à la mort sans la vie.
Dans quelles circonstances y pensez-vous ?
Sur une base continue, si l’on peut dire. Je pense que nous vivons sur une espèce de fond de mort, que notre vie n’est qu’une succession de petites morts. De morts symboliques sans aucun doute… Notre évolution personnelle se fait à travers des morts symboliques.
Qu’est ce que vous appelez ces expériences de morts symboliques ?
Ce sont des expériences dans lesquelles on est obligé de dépasser ce que l’on s’est construit, de le faire disparaître. Vous décomposez ce que vous avez été, de manière à donner librement cours à quelque chose d’autre. On meurt à soi-même pour renaître autrement. Mais en même temps, je me suis aperçu dans ma propre expérience à quel point ça pouvait être dangereux. On a toujours l’impression, lorsqu’on est passé à travers une espèce de renonciation à soi-même et que l’on a découvert un « non-moi », que ce « non-moi » est son vrai « moi ». On se bloque à nouveau alors que tout ce qu’on a atteint, on doit le dépasser. De ce point de vue-là on doit aller de mort en mort. Il faut admettre la part de mystère, au sens premier du mot, quelque chose qui ne peut pas être dit, quelque chose qui ne peut être qu’éprouvé, à la condition que ce ne soit pas de l’expérience seulement émotionnelle. Comme si l’émotion pure pouvait être la garantie de ce que nous vivons. C’est là où je pense qu’il doit y avoir un va-et-vient entre ce que nous éprouvons le plus intérieurement, et le pouvoir de la pensée. A condition que la pensée sache quelles sont ses limites. Je ne suis absolument pas disposé à renoncer au pouvoir de la pensée, et c’est d’ailleurs ce qui m’irrite énormément dans beaucoup de discours pseudo orientaux ; cette idée de renoncer à la pensée. Prenez le « canon pali » ou d’autres textes bouddhistes, il n’y a rien de plus métaphysique, de plus argumenté du point de vue de la pensée ! Le dépassement de la pensée ce n’est pas un renoncement à la pensée. Ce n’est pas sa destruction. J’ai l’impression qu’il y a quand même beaucoup d’incompréhension de notre part à ce sujet ; c’est le fantasme que nous avons de l’Orient.
Est ce que la mort vous fait peur ? Cela vous met mal à l’aise d’y penser ?
Pour dire la vérité, ça m’a fait très peur. J’ai bien essayé de me dire : « s’il n’y a rien, de toute façon, je n’en aurai pas conscience, tout ça n’a aucune importance » mais ça ne m’a jamais véritablement satisfait. Et donc, j’étais bien obligé de me confronter avec. Aujourd’hui - mais n’est-ce pas simplement intellectuel chez moi ? - je me sens réconcilié avec la mort. Est-ce que ça veut dire que le jour où ça arrivera véritablement - à moins que ça ne me prenne par surprise : un arrêt cardiaque, un accident, une mort rapide - je serai capable d’affronter la mort ? Je n’en sais rien. Il me semble qu’elle me fait beaucoup moins peur qu’avant, dans la mesure où aujourd’hui j’en arrive à penser qu’elle fait partie du rythme normal de la vie. Et même parfois, je me dis : « Et après tout, peut-être tant mieux ! » Tant mieux si cette vie qui est quand même tout le temps dans une espèce de souffrance, d’impermanence, de flux, de transformation ; peut être qu’il est bien que ça ait son terme et que je réintègre l’absolu… (je fais des hypothèses) l’absolu d’où je suis sorti. Et peut-être bien que je n’ai construit ma personnalité que pour qu’elle puisse se dissiper, se détruire. J’insiste là-dessus : ces idées sont nos systèmes de croyances, de représentations, la manière dont nous expliquons les choses. Je déteste les gens qui disent : « Là-dessus, j’ai la réponse ! ». Car « la réponse » ne demeure que ce que nous essayons de nous fabriquer.
Pour apprendre à avoir moins peur, dans l’évolution qui a été la vôtre, avez-vous ressenti le besoin de vous appuyer sur un système de croyances ? De pouvoir dire « je crois à ça » ?
Non, mon évolution s’est faite à travers des traversées mélancoliques, des moments où effectivement j’affrontais la mort en tant que telle. Je me rappelle très bien la grande crise de mélancolie qui a accompagné ma sortie de l’adolescence. J’étais en train de régler mon problème de frère mort. Un matin je me suis retrouvé avec un rasoir sur la carotide, à me dire : « j’appuie ou j’appuie pas ? ». J’ai eu plusieurs réactions vitales : « ce n’est pas encore le moment » et puis : « après tout si je dois mourir, il faut que ce soit la mort qui me prenne, et non pas moi qui aille la chercher ». Ça n’a pas exactement le même sens. Quelque chose s’est formé en moi, à travers les traversées psychiques d’état de mort personnel. Il s’est bâti en moi un système de croyances grâce auquel je peux m’expliquer la mort ; enfin, m’expliquer… J’essaie de m’expliquer.
Avez-vous le sentiment d’avoir vécu votre enfance, votre adolescence avec un mort-vivant à côté de vous ?
Plus qu’a côté de moi, il était en moi, il était en moi… au point que je vacillais parfois : « Est-ce que j’existe vraiment ou pas ? Est-ce que c’est l’autre qui existe à travers moi ? » Je voyais très bien, dans le regard que mes parents portaient sur moi, l’image de mon frère. Du coup moi-même, je ne savais pas réellement si j’existais ; je me disais : « Est-ce que je suis pas là en double de l’autre ? » Est-ce que je ne suis pas une pure illusion ? J’ai tendance à penser que je suis une pure illusion, mais quand vous savez que vous remplacez quelqu’un d’autre, vous n’êtes pas vraiment sûr d’exister vraiment par vous-même. J’ai une grande reconnaissance envers mes parents de ne me l’avoir jamais caché. Je n’avais pas le choix. Je devais l’affronter. A l’époque, je leur en ai énormément voulu, et maintenant, adulte, je me dis qu’heureusement, ils m’ont confronté à ça. Il fallait que je le traverse. Peut-être qu’autrement j’aurais trouvé tous les moyens, toutes les échappatoires possibles pour ne pas avoir à me confronter avec la mort. Finalement, je me dis que c’est l’un des plus beaux cadeaux qu’on m’ait fait.
Cela m’a obligé à admettre que j’étais réellement mortel, d’une part. Que la mort existait en tant que telle et qu’à la limite, c’était peut-être la mort qui donnait sa signification à la vie. Et puis j’avais une certaine relation avec ce frère mort, je le sentais, existant à travers moi. Est-ce qu’objectivement il ne continue pas à exister ? Il m’obligeait à me poser la question : après la mort que se passe-t-il ?
Comment avez-vous fait pour essayer de répondre à cette question ?
Comme j’ai pu ... (rires). J’ai été élevé dans un contexte chrétien, même si je suis sorti de l’Eglise très jeune. Alors la seule solution que j’avais, c’était la résurrection des corps. Mais la résurrection des corps, ça m’a toujours semblé très, très, très bizarre. J’ai compris ensuite que la résurrection des corps, en réalité, c’était la résurrection dans un corps de gloire. Mais ça ne me convenait pas complètement. Je crois profondément aujourd’hui que la véritable réponse à la mort c’est l’amour. Pas l’amour fleur bleue dont on nous rabat les oreilles généralement, ou les attirances sexuelles pour une partenaire, mais l’amour dans lequel on arrive à admettre que l’autre sera toujours un mystère. Un amour où il n’y a pas de possession, pas d’appropriation de la personne. Ce sont les deux femmes que j’aurais aimées dans la vie qui me permettent de répondre aux problèmes de la mort ; la première que j’aimais est morte. Elle est morte mais qu’est ce que ça veut dire au juste ? A-t-elle rejoint une autre réalité ? Dans un autre type d’existence que celle que nous avons ? Ou est-ce qu’il n’y a plus rien ? Honnêtement, là, je suis incapable de répondre en toute raison.
Cette curiosité envers la mort que vous avez depuis le plus jeune âge, que devient-elle devant votre compagne qui s’en va ? Qu’est-ce qui se passe là ? Ressentez-vous des choses particulières ? Qu’est-ce qu’il se passe à ce moment ?
Ça m’a remis dans cette espèce de mort à moi-même, parce que dans l’amour tel que je le conçois, on est UN avec l’autre personne. Et avec sa mort, c’était une unité qui se trouvait complètement déchirée. Est-ce que cette unité ne se maintient pas au-delà de la mort ? Ce n’est pas quelque chose qu’on peut expliquer, on est passé à travers le feu ou on n’y est pas passé. On peut en parler, mais en sachant très bien que les mots sont limités. Oui, on peut en parler mais en sachant que ce qu’on voudrait dire nous échappe toujours.
Ce moment où votre femme décède réveille quelque chose que vous aviez enfoui au fond de vous.
Oui… ma femme est morte dans mes bras. Je l’ai accompagnée dans ses derniers moments. Voir la personne que l’on aime s’éteindre physiquement, c’est quelque chose d’absolument terrible. Et lorsque vous tenez la femme que vous aimez dans vos bras et qu’elle vous dit à un moment, mais très tranquillement, d’une manière complètement détachée : « Bon, c’est la fin, c’est fini ! » Vous savez, pour passer ça… C’était une espèce de déchirure à l’intérieur, ça m’a renvoyé dans cette mélancolie, cet affrontement avec la mort. Et en même temps, j’ai appris quelque chose ; elle savait très bien être condamnée, quoi que le médecin en dise, et pendant un mois elle s’est préparée à la mort. Serais-je capable de mourir comme elle ? Dans cette sorte de sérénité, de détachement, de préparation à… autre chose.
Comment s’est-elle préparée ?
Elle n’était pas profondément chrétienne, mais il y avait cette idée qu’elle allait rejoindre un « royaume des cieux » pour reprendre le terme classique, et pendant un mois je l’ai vue se retirer dans sa chambre. Elle méditait sur elle-même, elle méditait sur la vie, et elle m’expliquait qu’elle essayait de se détacher de moi, de se détacher de ses enfants, de considérer que tout cela était à distance. Elle réinventait pour elle-même une espèce de méditation contemplative. Et moi j’étais absolument subjugué, et aussi un peu bête, à lui dire : « Mais non, tu verras on s’en sortira ». Ce genre de choses. Après coup je me suis dit que je n’avais rien compris, c’est elle qui savait, elle avait une sorte de certitude à l’intérieur, et finalement, « donner de l’espoir » ça n’avait aucun sens. Enfin, de l’espoir de mon point de vue. Elle était peut être beaucoup plus philosophe que moi, au sens réel du terme, puisqu’elle savait qu’elle allait dans cet espèce de mystère… Elle rentrait en elle-même. J’ai été profondément impressionné de découvrir la manière dont elle a redécouvert ce que c’était qu’une véritable méditation. L’exemple de ma femme m’a vraiment appris quelque chose. Par exemple, je me dis que j’aimerais bien mourir d’un coup, mais en même temps si je meurs ainsi je n’aurai aucune préparation. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux mourir en pleine conscience ? Je peux dire que je n’ai plus peur de la mort, ce qui me fait peur c’est l’agonie, le fait d’être vivant et de se voir peu à peu décliner, éventuellement souffrir, en sachant qu’il n’y a pas de remède ; l’espoir est la chose la plus chevillée au corps. On espère toujours. Serais-je capable d’admettre la mort prochaine ? On peut toujours me dire que la mort est une illusion, que ce n’est pas la fin de tout, et même peut-être le début de notre vérité la plus profonde… Quand même, c’est un changement !
Marie de Hennezel me disait que la question de l’après-vie était paradoxalement assez peu soulevée par les gens qu’elle accompagnait en fin de vie. Votre épouse s’interrogeait-elle à ce sujet ?
Je crois que l’on se pose cette question de l’après-vie lorsqu’on est soi-même en pleine vie. Mon épouse ne se posait pas la question… Je ne sais pas comment dire. Est-ce que c’est vraiment une question tellement importante ? Je n’en suis pas si sûr. N’est-ce pas une interrogation de quelqu’un qui n’a pas été confronté à la mort réelle ? Et lorsqu’on l’est, le plus important n’est-il pas d’accomplir le passage dans les meilleures conditions possibles ?
Il y a quelque chose de difficilement concevable pour nous vivants, c’est d’accomplir un passage vers quelque chose dont on ignore tout.
Oui mais est-ce que l’on ignore pas d’abord fondamentalement ce qu’est notre vie ?
Je crois que nous avons tous en nous un « reflet du divin », aussi, je suis frappé de constater que 95% des gens semblent l’avoir complètement oublié et croient que cette vie est la chose la plus importante au monde. Nous avons effectivement à accomplir notre destin dans cette vie, nous ne sommes pas nés pour rien, mais cela ne doit pas nous faire oublier que ce n’est pas nécessairement le plus important. Peut-être vivons-nous pour nous rappeler qui nous sommes réellement ? Et la pensée de la mort vient nous le rappeler, nous obligeant à sortir de l’illusion. Je ne renonce pas du tout à cette vie pout autant. L’idée est peut être d’habiter notre vie et de n’avoir en même temps pas trop d’illusions sur elle. Un point m’a toujours gêné dans différents systèmes de pensées : on nie la mort au nom de la vie ; mais il me semble important d’être capable de tenir les deux ensemble. La mort n’est pas la négation de la vie, au contraire, et c’est peut être même ce qui donne la note la plus juste à la vie. La vie est peut être un voile… Aujourd’hui, je pense assez profondément que la mort est un passage. Ce ressenti est appuyé sur une très longue réflexion, et sur mes propres expériences. Je crois que l’on ne peut pas réduire notre vie au pur biologique. J’admire beaucoup la science moderne, elle nous a apporté énormément de choses, mais qu’on arrête de prétendre qu’elle nous explique tout. Ce n’est pas vrai. Elle nous explique ce qui est dans son champ. Nous avons un corps biologique bien sûr, est ce que nous n’avons pas aussi un corps subtil ? J’ai tendance à penser que c’est le cas. Mais il n’a certainement plus rien à voir avec notre corps biologique. Est-ce que nous sommes capables de penser notre corps selon les critères du vide ?
Le vide, le néant, c’est précisément une notion qui fait peur. L’autre source de frayeur dans l’idée de mort est l’oubli, l’effacement de notre identité actuelle.
Oui, on le constate dans la façon dont notre culture aborde la notion de réincarnation par exemple. Pourquoi chez nous parle t-on plutôt de réincarnation que de transmigration ? Parce que l’on a cette idée que si on n’a pas très bien réussi sa vie, on se rattrapera et fera mieux dans une autre. Pourtant, dans l’idée de transmigration la pire horreur est de « se réincarner ». On voit bien comment dans notre culture on a plaqué la notion de résurrection sur la transmigration, adoptant cette idée que mon « moi » continuera à exister. C’est révélateur du fait que nous ne supportons pas l’idée que ce que nous sommes ne serait pas notre « moi », mais autre chose. Que cette part du néant en nous serait peut-être ce qui est le plus réel. C’est quand même assez insupportable. Mais n’est-ce pas une constante de toute l’humanité cette volonté de continuer sans arrêt à vivre ? De dire que le monde dans lequel nous vivons est le seul réel ? Qu’évidemment il s’agit de l’habiter tout le temps ? Est-ce que, précisément, le fait d’être humain ce n’est pas d’être appelé à dépasser ça ? N’est-ce pas cela, à la limite, qui différencierait véritablement l’animal de l’homme ? Le fait d’avoir conscience que cette vie dans laquelle il est plongé est peut-être quelque chose qu’il lui faut dépasser ? Est-ce que la vie véritable ce ne serait pas de faire ce qui est attendu de soi ? Je pense d’ailleurs que tous les hommes sont appelés, il y a ceux qui écoutent et ceux qui n’écoutent pas. Je suis obligé de reconnaître que ceux qui n’écoutent pas sont apparemment en majorité. Prenez un homme dans la rue et dites-lui que ce que à quoi il est appelé c’est à se résorber dans le vide dans le néant, je pense qu’il considèrerait que c’est insensé. Moi, il me semble au contraire que c’est le sens le plus profond. Le sens de la vie, c’est de dépasser la vie.
Lorsque nos expériences intimes nous confrontent aux limites de la connaissance et de la science, il est parfois très complexe de juger de la valeur ce qui se produit, en dehors d’un processus intellectuel. Je pense aux expériences inexpliquées, celles que l’on rencontre autour de la mort par exemple.
Je me demande si ce ne sont pas là des questions d’occidentaux.
Tout comme celles que je me posais à propos de mon frère mort. Peut-être y a-t-il un autre type de réalité, lorsque je le sentais en moi, j’en arrive à me dire aujourd’hui qu’il était réellement en moi, mais peut-être pas « réellement en moi » au sens où nous l’entendons nous, occidentaux. Comme si quelque chose de sa forme psychique subsistait plus ou moins. Après tout, une existence n’est pas forcément une existence biologique matérielle. Il peut aussi y avoir des existences spirituelles. Et à la limite je me demande — à nouveau c’est une question qui pour moi est ouverte — si en me détachant de lui je ne lui ai pas rendu service ? Lui permettant de vivre ce qu’il a à vivre, dans un autre plan de réalité ? Je suis bien obligé d’admettre que j’en suis arrivé à me dire qu’il y a plusieurs plans, plusieurs niveaux de réalité. Le nôtre n’est que l’un de ces niveaux. Nous devons admettre qu’il y en a d’autres, et que ces autres sont tout autant réels.
Maintenant, est-ce que les fantômes existent ou pas ? Je n’en sais rien ! Et à la limite, tel que c’est posé dans notre culture, la question ne m’intéresse pas. Les questions « est ce que les fantômes existent ? » « Est-ce que je peux toucher un fantôme ? » « Est-ce que je peux l’appréhender, est-ce qu’il a le même type d’existence que nous ? » C’est ça qui est tellement difficile, parvenir à sortir de notre propre type d’expérience ; de notre niveau de réalité et envisager qu’il puisse en exister d’autres, certains dont on est en mesure de faire l’expérience, d’autres non. Ce qui me gêne beaucoup par exemple, je prends les cercles spirituels que je connais un peu, où vous faites tourner une table, un esprit se matérialise et vous répond à travers les coups de la table, je me demande si ce n’est pas justement confondre plusieurs niveaux de réalité, et tout réduire à notre réalité à nous. Est-ce que les fantômes existent ? Mais déjà le verbe « exister » me gêne parce que « exister » c’est déjà ramener à notre existence. Si on me dit c’est quelque chose qui « est », je préfère ce terme.
Vous aimeriez mourir comment ?
D’un seul coup ! Mais en même temps, lorsque j’essaie de dépasser un peu ça, et même si il y a quelque chose en moi qui se révolte à cette idée, je préférerais quand même mourir en pleine conscience, et donc en sachant que je vais mourir, en y allant les yeux ouverts.
Dans les lectures que vous avez pu faire durant votre vie, vous est-il arrivé d’être marqué par quelque chose concernant la mort qui sorte du simple registre de l’intellect, et qui vous touche par son authenticité ?
Non, de mes lectures, honnêtement pas grand-chose. Ce qui m’a marqué le plus est ce moment où, quelques minutes avant sa mort, ma femme me dit d’un ton très tranquille : « Voilà, c’est la fin, c’est fini ». Ça m’a énormément marqué. Je me suis dis que l’on était capable véritablement d’entrer dans la mort en l’acceptant totalement. C’est autre chose qui souffre. Elle m’avait dit : « Ne t’en fait pas, je m’en vais mais je veillerais toujours sur toi ». Il y avait quand même quelque chose de l’amour. L’amour qui n’est pas appropriation, au-delà du simple plaisir, de la pulsion… dans l’ouverture mystère. Une espèce d’amour — bon j’hésite devant le mot tellement il est galvaudé — de l’ordre de l’Universel.
C’est frappant de voir comment quelqu’un comme vous, avec ce parcours, ce cheminement intellectuel, décide de ne me citer aucun livre comme étant déterminant sur la question, mais préfèrera un élément de sa vie.
Oui. C’est là où l’on se dit que les livres d’accord, c’est très intéressant, cela amène énormément de choses, mais… ce qui à un moment est vraiment crucial est aussi l’expérience la plus intime, mais dans la mesure ou l’expérience la plus intime ouvre sur autre chose, qu’elle ne se referme pas sur elle-même, effectivement. Et à condition aussi d’en faire quelque chose, c’est-à-dire de tourner autour, d’essayer de l’approfondir, tout en sachant très bien que l’on on n’atteindra jamais complètement le coeur, ou peut-être que si ; peut-on savoir ? On a tellement tendance à tout refermer, à vouloir faire des systèmes. C’est très rassurant de se dire qu’on a réponse à tout. Aujourd’hui plus que jamais, je me dis que si l’on a réponse à tout, c’est que forcément on se trompe. Et là-dessus, je crois avoir raison quand même (rires).
Avez-vous ressenti que le temps se modifiait à proximité de quelqu’un qui allait mourir ?
Très largement. Oui, effectivement, une espèce de pressentiment de l’éternité, de l’éternité au sens réel du terme, un pressentiment du « non-temps », où tout à coup le temps se modifie complètement. Nous ne sommes plus dans le temps linéaire dans lequel nous nous trouvons habituellement, il devient très, très différent. L’ayant vécu de très près, je me demande si ma femme n’a pas le plus vécu le dernier mois avant sa mort, c’est-à-dire au moment ou elle savait qu’elle allait mourir. Alors même que les médecins lui disaient le contraire, elle savait qu’elle allait mourir. Du coup, à cette période ou justement elle se détachait de tout, c’est le moment où elle a le plus vécu. Ça a été une expérience absolument bouleversante.
Et aujourd’hui, vous en êtes où par rapport à la mort ?
Curieusement, après cette traversée mélancolique qui a suivi la mort de ma femme, je m’y suis mis à y penser très peu. La mort me travaille beaucoup moins qu’avant. D’avoir été en contact avec la vraie mort, celle de quelqu’un à qui on est extraordinairement attaché, c’est extrêmement riche d’enseignements, ça transforme beaucoup les choses.
Écrivain et réalisateur, Stéphane Allix est devenu journaliste en rejoignant clandestinement, à 19 ans, en 1988, les résistants afghans en lutte contre l’occupant soviétique. Durant les années 90, il a voyagé à travers le monde, couvert plusieurs guerres, réalisé des films, et écrit plusieurs livres.
Depuis 2003, il est engagé dans l’étude et la recherche sur les conséquences de la révolution scientifique en cours, avec une approche comparée de disciplines telles que la psychia ...
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24 juillet. C’est avec sa rigueur
médicale,
mais aussi une grande
sérénité
et beaucoup
d’émotion
qu’il abordait le thème de la mort
dans le cadre de cet entretien inédit
sur les expériences extraordinaires.
L'INREES
publie cet échange,
en hommage
à un homme dont
l’engagement
aura marqué notre
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